LES
CRIMES DU CLERGÉ
Les
archives de la Révolution française (1791)
Les
prêtres ne sont pas ce qu'un vain peuple pense,
Notre crédulité fait toute leur science.
Comment
peut-il se trouver des hommes tellement asservis à d'absurdes usages, &
tellement enclins à dominer, qu'ils ne cessent de vomir des imprécations
contre ceux qu'ils opprimaient, lorsque ceux-ci, par une noble insurrection, ont
secoué le joug de leur oppresseurs, et sont rentrés dans leurs droits ? C'est
que l'intérêt personnel, qui seul dirige cette insolente espèce d'hommes, ne
leur permet pas de voir leurs égaux dans leurs semblables. Mais inutilement ils
répètent sans cesse et dans leurs discours et dans leurs écrits que tout est
renversé ; répondons-leur : que loin d'être renversé, tout est rentré dans
l'ordre, que leur empire est détruit, que le règne des abus est passé, et que
celui de la justice commence.
Malheur à vous, prêtres séditieux,
qui, avec un esprit ardent à surprendre les ignorants, soufflez dans leur cœur
toute la rage qui vous anime.
En vain vous vous appuyez de
l'autorité du pape pour faire valoir vos prétendus titres ; qu'avons-nous à
craindre d'un vieillard en démence qui prend la bible des démons pour l'évangile
et la rénovation de l'église de France pour l'œuvre de l'iniquité.
Cette bulle, dont on nous a si
longtemps menacés, vient enfin de paraître, elle est toute pour les ministre
de l'église et nullement pour l'église en elle-même ; ce n'est qu'une
compilation sans ordre de décrets tous temporels, tous avares, tous rapaces,
tous usurpateurs, tous différents de la morale chrétienne. Je n'y vois que
l'ouvrage de l'ange des ténèbres, et non l'esprit de Jésus-Christ.
Si l'évangile est outragé, si la
religion alarmée est menacée de sa destruction, à qui doit-on s'en prendre ?
à ses ministres; à vous Très-Saint-Père, malgré votre prétendue
infaillibilité ; les énormes bévues de plusieurs de vos prédécesseurs, les
scandales qu'ils ont causés par leurs vices, leur luxe énorme entièrement en
opposition aux maximes de l'évangile dont ils ont tronqué les textes sacrés
pour en faire un évangile à leur mode, pour tromper les peuples et s'établir
les dispensateurs des trésors célestes à proportion qu'ils recevaient des fidèles
mal instruits, des sommes plus ou moins grandes.
Etait-ce pour accommoder l'évangile
à la faiblesse des peuples, que les ministres d'un dieu pauvre, oubliant
volontairement la pauvreté des disciples de J.C., accaparaient les propriétés
des familles, les ruinaient, les asservissaient ?
Ah ! Saint-Père ! lisez dans ce
livre si peu connu des prêtres, si peu connu de vous-même, dans l'évangile !
lisez : «Les renards ont leurs tanières, les petits oiseaux ont leurs nids,
et le fils de Dieu n'a pas une pierre pour reposer sa tête !»Une pierre !
grand Dieu ! quelle pauvreté ! votre fils était tout puissant, il n'avait
point d'asile ! il naquit pauvre, il vécut pauvre ; il annonça son évangile
aux pauvres, il vécut pour les pauvres, il mourut pauvre ! et les pauvres ont
été dépouillés, déchirés, incarcérés, asservis, dévorés pour enrichir
les ministres de l'évangile ! Jésus prescrivait l'abandon des biens, il
existait d'aumônes ; ses apôtres l'imitaient dans ses actions comme dans sa
morale, et leurs successeurs ont des palais !...... ils sont rois !...... et le
Vatican est bâti avec des ossements humains ! chaque pierre, formée de la
substance du peuple, est un témoin authentique des horreurs des pontifes
!...... Et vous prélats..... frappez sur ces pierres, il en sortira du sang !
vous en étancherez votre soif impie, c'est le dernier qui vous reste à
boire..... La France est libre, le ciel a déposé dans ses mains les foudres et
les tonnerres.... L'évangile de la liberté, l'évangile de Dieu, est au centre
de la terre, elle est l'effroi des tyrans.
Il est inutile de nous attacher à
prouver les usurpations sacerdotales, le détail en serait trop long ; mais je
vais tracer en peu de mots tous les meurtres commis ou occasionnés par ces
tigres altérés de sang qui, en égorgeant leurs frères, se disent les
ministres d'un Dieu de paix.
A l'imitation des prêtres juifs,
vos devanciers, qui avaient fait lapider, mettre en croix, passer au fil de l'épée,
trois cents mille hommes pour avoir dansé autour d'un veau d'or, caressé des
filles madianites, regardé l'arche, etc, vous enseignez à vos disciples qu'il
faut briser les statues des dieux de l'empire romain, déchiré les édits des
empereurs qui vous avoient laissé fort tranquilles ; vous changez les chrétiens
en séditieux ; on les punit (comme de raison). Vous comptez deux cents mille
martyrs ! et moi, je compte deux cents mille victimes de votre fanatisme !
Vous régnez avec Constantin, les
conciles sont assemblés, l'empire est ébranlé par des querelles théologiques
; pendant six cents ans, on argumente, on se bat, on voit empereur contre
empereur, citoyens contre citoyens, et de quoi s'agit-il ? d'un verset, d'un
mot, d'une syllabe ; alors le sang coule par torrents, cent mille chrétiens
sont égorgés, pendus, assommés !
Cependant, il faut avouer que dans
le schisme des donatistes, on ne saurait trop louer l'humanité des évêques
d'Afrique qui, ne voulant pas d'effusion de sang, défendirent d'employer l'épée,
et se contentèrent de faire assommer quatre mille personnes à coups de massue.
Les Sarrasins fondent sur les
peuples abrutis, ils massacrent, ils pillent ! Il fallait des soldats, et on
n'avait que des moines ! Le destin de ce peuple, qui ne savait qu'argumenter,
fut d'être battu par tous les barbares. Un exagérateur supposerait que dans
ces guerres sanglantes, et sans cesse renaissantes, il périt deux millions
d'hommes ; mais nous sommes exacts, nous n'en comptons qu'un million.
Les vainqueurs prennent la
religion des vaincus, et se déchirent à leur tour ; les rois Gots, Ostrogots,
Celtes, Gaulois, Francs, s'entretuent pour des mots qu'ils n'entendent pas. Le
bon Clovis, à la sollicitation du pape et des évêques, fait égorger cent
mille Ariens pour sa part ! Evaluons ces nouveaux massacres à cinq cents mille.
Des malheureux s'avisent de
vouloir vous rappeler à la pauvreté évangélique, et vous faites armer contre
eux des fanatiques ; cent mille Vaudois, femmes, enfants, vieillards, sont passés
au fil de l'épée !
Nous ne passerons point sous
silence les cent vingt mille Manichéens que l'impératrice Théodora, veuve de
l'empereur Théophile, fit égorger dans l'empire grec, à la sollicitation de
son confesseur, parce que jusqu'à cette époque on n'en avait pendu ou noyé
que vingt mille, et que ces gens-là méritaient bien qu'on les tuât tous pour
leur apprendre qu'il n'y a qu'un bon principe et point de mauvais.
Les prétendues hérésies des
Iconoclastes, ou briseurs de saints, n'ont coûté que soixante mille vies.
Non contents de troubler l'empire
où vous êtes, vous voulez ensanglanter les autres ; la croisade est proclamée,
deux millions d'hommes périssent chez les Turcs, après avoir pris la lèpre au
lieu du saint tombeau !
O Louis IX ! père des Bourbons,
tu fus entraîné par l'exemple et séduit par des prêtres fanatiques ; tu dévastas
la France et lui fis des plaies dont elle saigne encore ! est-ce pour avoir fait
périr avec toi trois cents mille homme dans l'Afrique qu'on t'a mis au rang des
saints ?
Nous ne parlerons point des
croisades particulières ordonnées par le Saint Père contre les princes chrétiens,
ni des schismes d'Occident, ni de la guerre des Hussites qui n'a coûté que
deux cents mille morts ; nous avouons pareillement que les massacres de Cabrière
et de Mérindol sont bien peu de chose, il ne s'agit que de vingt-deux bourgs
mis en cendres, à-peu-près vingt mille innocents égorgés ou brûlés,
d'enfants à la mamelle jetés dans les flammes, des filles violées et ensuite
coupées par quartiers, de vieilles femmes qui n'étaient plus bonnes à rien et
qu'on faisait sauter en l'air en leur enfonçant des cartouches dans les deux
orifices ; mais, comme ces petites exécutions se faisaient juridiquement avec
toutes les formalités de la justice, il n'y a pas le petit mot à dire.
Nous voici parvenus à la plus
sainte et glorieuse époque du christianisme, que quelques gens sans aveu
voulurent réformer au commencement du seizième siècle. Les papes, les évêques,
les abbés, les moines, ayant refusé de s'accorder sur le dogme, les deux
partis marchèrent sur des corps morts pendant deux siècles entiers ; si on y
joint tous les assassinats commis sous le règne de Léon X, jusqu'au règne de
Clément V, les assassinats juridiques ou non juridiques, les têtes des prêtres,
des séculiers, des empereurs, des rois et princes abattues par le bourreau; le
bois renchéri dans plusieurs provinces par la multitude des bûchers chaque
jour allumés ; le sang répandu d'un bout de l'Europe à l'autre ; les
bourreaux lassés en Flandre, en Allemagne, en Angleterre même ; trente guerres
civiles pour la transsubstantiation, la prédestination, le surplis et l'eau bénite
; le massacre de la Saint-Barthélemy, les massacres d'Irlande, les massacres
des Cévennes, etc. etc. etc. ; on trouvera au moins plus de trois millions de
morts et plus de six millions de familles infortunées plongées dans une misère
peut-être encore pire que la mort ; mais comme il ne s'agit que de morts, nous
ne comptons que trois millions !
L'inquisition a fait si grand
bien, qu'il faut oublier qu'il en a coûté trois cents mille victimes humaines
!
Le monde connu ne vous suffit pas
; le poignard attaché à la ceinture, à côté du cordon de Saint-François,
vous descendez en Amérique, elle n'est bientôt plus qu'un vaste tombeau ;
douze millions d'Américains sont immolés pour la plus grande gloire de Dieu et
l'édification de l'église !
Pourquoi parler après cela des
quatre cents mille homme que les révérends pères Jésuites ont fait égorger
au Japon ; de cent mille solitaires victimes de leur austérité fanatique ; des
assassinats commis sous le nom de jugement de Dieu ! ce ne sont là que des vétilles.
Mais ne déchirons pas le voile en
entier, le tableau serait trop hideux..... c'est pourquoi il est temps de résumer
; le tout ne monte guère qu'à vingt-deux millions de personnes, ou égorgées,
ou noyées ou pendues, ou rouées, ou brûlées pour l'amour de Dieu ! car nous
ne parlons point des trois cents mille Camisards envoyés au galères à Brest,
à Marseille et Toulon ; on ne les a pas massacrés, Dieu merci ; mais on leur a
fait faire pénitence pour accélérer leur conversion et le salut de leur âmes,
ce qui très-humain et on ne peut plus chrétien !
Voilà pourtant les terribles
effets qu'ont produit les décrets, les bulles, les conciles, les canons de tant
de despotes à tiare, et que renouvellerait le bref de Pie VI, leur digne
successeur, dans un siècle moins éclairé. Il a fallu de l'or à ces hommes
ambitieux et avides pour ouvrir le ciel et fermer les enfers ! il leur a fallu
de l'or pour recevoir le Saint Esprit !.... L'Eternel est-il donc une denrée
dont les papes soient propriétaire !..... Leur pouvoir imaginaire fit le
malheur des empires ! Devenus riches, il rendirent l'univers esclave... Un pas
de plus, ils auraient ordonné au christianisme d'oublier Dieu pour ne servir
qu'eux ! Quoi ! tant de victimes immolées n'ont point encore asservi la rage
papale ! Et vous marchez si bien sur les traces de vos prédécesseurs, Pie VI,
non, vous n'êtes pas le père commun des fidèles ; vous êtes le premier
ennemi de Dieu, dès l'instant que vous vous déclarez le chef de l'aristocratie
sacerdotale. Vous invoquez en vain l'évangile que vous tronquez pour en faire
un à votre mode ; l'évangile de Rome pâlit devant l'évangile de la liberté.
Votre bulle, très-Saint-Père,
est séduisante pour les imbéciles et les dévots...... ; mais l'homme qui veut
penser y trouvera autant d'erreurs que vous y avez glissé de prétendues vérités
; vous êtes infaillible, selon vous-même, et par une inconséquence papale,
vous demandez conseil aux cardinaux ! Demander conseil, c'est être embarrassé,
et être embarrassé n'est pas être infaillible. Cela ne s'accorde guère ;
mais nous sommes habitués à ces tableaux grotesques, propres à figurer dans
les Fantoccini italiens.
Cependant, toutes les marionnettes
du saint siège et le grand polichinelle romain devroient un peu mieux ménager
la foi du peuple : Vous oubliez, messieurs, et votre institut, et votre religion
; et surtout la pudeur, en osant encore vous dire les ministres de Jésus-Christ
! Vous nous alléguez une lettre de Saint-Léon contre l'usurpateur Julien, mais
le cas est différent ; autre chose est d'employer la brigue et les bassesses
des courtisans de cour pour être assis dans la chair épiscopale ; autre chose
est d'y être élu par le peuple qui n'y appelle que ceux qui en sont les plus
dignes par leurs vertus. Saint-Paul dit : «Il ne faut pas se présenter de
soi même à l'épiscopat, mais y être appelé par le Seigneur.»Comment
pouvez-vous supposer que Dieu ait fait des abbés de ruelle possesseurs de ses
lumières ? qu'un monarque, ses courtisans, ses catins, ses valets, soient les
interprètes de sa volonté divine ? Sachez que les grâces du ciel sont pour
les cœurs purs. Dieu prête sa voix au peuple. Vox pupuli, vox Dei.
Saint-Père, ouvrez encore l'évangile.
«Tout pasteur qui abandonne son troupeau et n'en prend aucun soin, mérite
qu'on le chasse».La plupart des évêques, loin de résider dans leurs diocèses,
résidence pour laquelle ils étaient énormément payés, se livraient dans la
capitale à tous les excès réprouvés par l'évangile. Fallait-il payer pour
nous scandaliser encore ? Le peuple ouvre les yeux, tout ce qui est contraire et
insultant à la liberté évangélique excite son indignation. Le clergé
dissolu se révolte contre son bienfaiteur, l'aumône cesse ; les vrais ecclésiastiques
continuent l'œuvre de Dieu. La nation propose un serment pour la liberté et
pour la paix, des ministres d'un Dieu de paix refusent la paix..... Le peuple,
comme souverain, ne balance plus ; peu lui importe qu'un évêque, au-delà des
monts, lance des anathèmes pour appuyer le vice, il confie à la vertu les
honorables fonctions de l'épiscopat.
L'esprit de Dieu plane sur
l'univers, il annonce l'égalité à tous les peuples, c'est l'arrêt de mort du
despotisme, c'est celui de votre pouvoir. En vain des fripons mitrés, des
brigands cachés sous l'habit de prêtre, veulent s'étayer de votre nom pour
nous persuader qu'il n'y a plus de religion en France parce qu'il n'y a plus de
biens ecclésiastiques ; leurs blasphèmes contre un siècle éclairé, ne ramèneront
pas ces temps d'ignorance où des moines supposèrent que le diable était logé
dans les épis, qui faisaient entendre pendant la nuit des voix qui criaient : Donnez
à l'église la dixième partie de vos gerbes; et l'agriculteur trop crédule,
imbécile et timide, donnait cette dixième partie, dont l'église s'est fait un
titre qu'elle s'efforce aujourd'hui de faire regarder comme imprescriptible,
dont l'anéantissement est une violation de la propriété la plus sacrée, en
annonçant que la religion est en péril.
Mais les temps ont changés : on
n'est plus assez stupide pour s'imaginer qu'en s'enfroquant un habit de moine,
et en écoulant son bien à l'église, on ira tout droit en paradis. L'empire de
la superstition est détruit : on ne croit plus que, pour de l'argent, on puisse
acheter des indulgences, et obtenir la rémission de crimes commis et à
commettre. On ne croit plus à une infinité de pieuses momeries que l'ambition
et la cupidité des prêtres avoient consacrées, et que l'ignorance et la crédulité
des peuples avoient accrédités.