Max Stirner ou l'extrême liberté[1]

 

Paul Chauvet - Groupe libertaire Louise Michel

 

"L'individu ne supporte pas de n'être considéré que comme une fraction un tantième de la société, parce qu'il est plus que cela : son unicité s'insurge contre cette conception qui le diminue et la rabaisse."

"Ce que tu as la force d'être, tu as aussi le droit de l'être "

 

L'homme et sa vie.

Max Stirner est un des écrivains très importants du mouvement anarchiste dont on parle beaucoup sans l'avoir jamais lu et souvent pour l'estimer dépassé ; cependant il reste un des philosophes de base parmi ceux dont la pensée est la plus riche, et à notre époque il acquiert une résonance profonde. Je vais essayer de la présenter, d'analyser les termes de sa pensée et d'en dégager l'essentiel pour le temps présent. Il faut d'abord situer l'homme. Max Stirner de son vrai nom Johan Kaspar Schmidt, Stirner voulant dire " grand front ", naît en 1839 à Bayreuth (Allemagne) dans une famille modeste ; médiocre étudiant, il terminera ses études en 1839 à Berlin sans obtenir la totalité des diplômes qu'il briguait. A ce moment, il ne trouve de travail que comme professeur dans un collège de jeunes filles bourgeoises. Le jour, ce professeur enseigne la philosophie aux demoiselles et le soir il se transforme pour se rendre dans un café, lieu de réunion de la société des " affranchis ".

Ces Affranchis sont des gens curieux, humanistes et révolutionnaires d'arrière-salle de troquet ; ils réclament la liberté pour l'homme et passent leur temps à en discuter tout en essayant tant que faire se peut, de vivre librement. Stirner sera parmi eux plus un spectateur qu'un acteur ; tout en fumant un gros cigare seul luxe de sa vie chiche, il écoute les discussions de ses camarades. Cependant, il ne fait pas qu'écouter, il pense et écrit aussi et en 1843, il publie son œuvre principale " L'unique et sa propriété ". Subitement c'est la gloire, il est lu, commenté et discuté. D'emblée, il se présente le grand théoricien de la liberté sans exclusive. Il veut, dès lors, vivre pour son œuvre et se marie avec une adepte des "Affranchis". Mal lui en prend, la gloire vite apparue, disparaît aussi vite et il vivra difficilement, divorcera et mourra oublié dans le dénuement en 1856. Cette vie n'est pas exaltante comme celle d'un Bakounine ou d'un Kropotkine et il y a sûrement là une des causes du manque d'intérêt pour Stirner. Si la vie est assez terne, il en va autrement de l'œuvre et surtout de " l'Unique et sa propriété ". Toute sa pensée révolutionnaire et constructive de Stirner est contenue dans cet ouvrage.

 

L'unique et sa propriété

Ce livre est formé de deux parties opposées. Dans la première Stirner fait le tour de ce qui aliène l'Homme, le soumet, le subordonne. Dans la seconde il reprend chaque terme de la première pour reconstruire en fonction de liberté la plus absolue de l'individu. Cette seconde partie est d'ailleurs la meilleure de l'ouvrage et surtout prouve sans contredit possible que Stirner est un constructeur et non pas Nihiliste. Mais nous allons voir cela de plus près en étudiant quelques un ses de ces aliénations et leur réappropriation.

 

Les aliénations

L'État, C'est une des premières et des plus importantes aliénations dont traite Stirner. Il nous montre que toutes les formes que prend l'État sont coercitives, et briment l'Homme, même, comme pour l'État libéral, quand elles se réclament de la liberté et du bien de l'humanité. D'ailleurs, c'est surtout à cet État démocratique et libéral que Stirner s'attaque. Cet État réclame une participation de l'Homme ayant pour base un bon sentiment, le civisme : Le civisme, c'est l'idée que l'État est tout, qu'il est l'homme par excellence et que la valeur de l'individu comme homme dérivé de sa qualité de citoyen. Même si cet État démocratique affirme avoir pour seul but la liberté de l'homme, il limite en fait son initiative en lui créant des devoirs : " servir c'est être libre, le serviteur obéissant, voilà l'Homme libre ! Et voilà une rude absurdité ". Il ne faut pas se faire d'illusions, l'idéal de l'état n'est pas l'épanouissement des individus, mais son nivellement dans une certaine médiocrité qui doit contenter le maximum d'hommes qui composent pour cela chacun doit faire beaucoup de concessions à la communauté et en définitive, l'idéal de l'État c'est... un ordre raisonnable, une conduite morale, une liberté modérée et non l'anarchie, l'absence de lois, l'individualisme. Ainsi dans l'État libéral la raison règne et la personne succombe. Le plus grave n'est pas seulement l'asservissement contre lequel il est toujours possible de lutter, amis le fait que l'autorité devient, dans l'État démocratique, hypocrite et impersonnelle... celui qui les écrasent (les gens libres) s'appelle l'état, la loi mais jamais untel ou un tel... L'autorité c'est alors tout le monde et personne à la fois, le gendarme, le percepteur, le service militaire obligatoire, etc. Stirner met là en évidence ce que nous ressentons aujourd'hui. Qui n'a pas eu à traiter avec une quelconque administration, et brimé, tentant de se défendre, n'a trouvé en face de lui qu'une responsabilité diffuse diluée, c'est toujours le chef de bureau d'à côté qui a donné l'ordre.

 

Le libéralisme social

L'Homme vit en société, Stirner le constate sans difficulté cependant, il nous montrera en quoi cette société est coercitive même quand elle vient d'une essence libérale. Et d'abord il montre que les hommes dans une société libérale sont dépendants les uns des autres, il arrive à la conclusion que la valeur dominante de cette forme de société c'est le travail dont la richesse disparaît et nous voyons apparaître une forme de sujétion, le travail. Si le communiste voit en toi un homme et un frère, ce n'est la que sa manière de voir des dimanches... Si tu étais un fainéant, il ne reconnaîtrait pas en toi l'Homme, il y verrait un homme paresseux à corriger de sa paresse et à catéchiser pour le convertir à la croyance que le travail est la destination et la vocation de l'Homme. La société possède tout et régente le travail en fonction des besoins des hommes ; rechercher la liberté dans une forme centralisée et possessive nous amène une nouvelle autorité, celle de la société, nous lui sommes redevables de tout, tout vient et retourne à cette entité nouvelle : la société dont nous tenons tout est un nouveau maître, un nouveau fantôme, un nouvel être suprême qui nous impose service et devoir. Ces deux aliénations, l'État libéral et la société libérale sont d'autant plus gravent qu'elles partent d'un bon sentiment, d'un sentiment humanitaire et nous arrivons à découvrir le pire des aliénations celle qui les coiffent toutes le libéralisme humanitaire.

 

Le libéralisme Humanitaire

L'humanisme veut porter l'homme à son plus haut degré de perfection, car il ne se préoccupe que de l'homme en général et de ce qu'il représente et peut devenir. La religion disparue, l'humanisme crée un nouveau dieu qui a pour forme l'homme parfait. Stirner s'attaque à cette aberration qui est la plus importante, la soumission de l'individu à un homme idéal ; dans tout cela, ce qu'est chacun de nous dans son originalité disparaît pour tenter de ressembler à l'image que l'on se donne de l'homme idéal. "Comme l'humanitaire ne laisse plus à l'individu rien de privé ou d'exclusif ni pensée privée ni sottise privée, il finit par le laisser complètement nu car sa haine absolue et fanatique du privé ne permet à son égard aucune tolérance, tout privé étant essentiellement inhumain." L'humanisme qui subordonne l'homme à une certaine image bien précise, nie ainsi toute originalité chez l'individu, cela nous promet un univers concentrationnaire du genre de celui de 1984 de G. Orwel. Ainsi comme le prouve Stirner, l'individu se trouve brimé, soumis à un certain nombre de puissantes aliénations : l'État, la société, l'humanisme, mais cependant, l'individu, il le prouve aussi a besoin de la société, d'une organisation et d'un idéal pour vivre. Nous allons voir ce que Stirner entend construire pour que l'individu vive entièrement libre.

 

La réappropriation

Ma puissance, mes relations. Stirner a montré que l'État est toujours sous quelque forme qu'il se présente, contraignant pour l'individu, mais que la vie en société reste l'état naturel de l'homme et qu'il faut trouver une organisation qui laisse l'individu libre de toute contrainte. Le but à atteindre n'est pas un autre État (démocratique par exemple) mais l'alliance, l'union d'harmonie toujours instable et changeante de tout ce qui n'est qu'à condition de changer sans cesse.

Pour garder l'individu libre à l'intérieur d'une organisation, Stirner prône un système d'association des individus qui viennent et y participent de plein gré, parce qu'ils en sentent le besoin et qu'ils désirent ; mais cette association sera toujours résiliable ou améliorable à volonté pour chaque individu, selon son intérêt, mais aussi ses capacités. L'association est aussi le terme qui permet aux individus de vivre ensemble et de se fréquenter, c'est la forme de société la meilleure selon Stirner. Car les rapports qu'ont les individus entre eux sont uniquement basés sur l'intérêt propre de chacun : Il n'y en entre nous qu'un rapport, celui de l'utilité du profit, de l'intérêt... Si pour te faire sourire, je t'aborde avec une mine joyeuse, c'est que j'ai intérêt à ton sourire et que mon visage est au service de mon désir.

La seule société humaine valable est celle qui laissera l'individu maître de lui-même en tout moment, en toute circonstance, libre d'agir à sa guise et toujours, selon ses possibilités. Il aura le choix de ses actes, il en portera les responsabilités vis-à-vis de lui-même, qu'il réussisse ou qu'il échoue dans son entreprise, qu'il se montre incapable, c'est lui qui en supportera les conséquences et lui seul ! Tout est ramené ainsi à l'individu et pour sa jouissance personnelle du monde qui l'entoure.

 

Ma jouissance de MOI

C'est dans ce chapitre que Stirner reprend l'humanisme pour développer son idée de l'homme et de sa liberté. D'abord il s'inscrit en faux contre les humanistes qui considèrent l'homme dans son devenir possible, pour Stirner, l'individu doit être lui-même : Le véritable Homme n'est pas dans l'avenir, il n'est pas un but, un idéal vers lequel on aspire, mais il est ici présent, il existe réellement ; quel que je sois joyeux ou souffrant, enfant ou vieillard, dans la confiance ou dans le doute, dans le sommeil ou la veille, c'est MOI. Je suis le véritable Homme.

Ainsi chaque homme est unique avec ses possibilités propres ses capacités personnelles qui lui permettent d'être ce qu'il veut être.

"Les Hommes sont comme ils doivent être et comme ils peuvent être... L'Homme n'est pas à la mesure de tout, mais je suis cette mesure".

Dans cette dernière partie Stirner atteint le sommet de sa pensée, il a dégagé l'Homme de sa fange humanitaire, il démontre brillamment l'unité de la personne, sa valeur intrinsèque et son plein épanouissement possible dans une liberté sans limite. L'ouvrage se termine sur des paroles d'une résonance profonde qu'il nous faut méditer : " Dans l'Unique, le possesseur retourne au Rein créateur dont il est sorti ".

C'est un appel déguisé au lecteur, il ne nous faut pas prendre à la lettre, mais nous-même, nous considérant comme des " Unique " le ré-écrire chacun pour soi. Tel devra être notre but

 

 

Max Stirner : Un extrait de "l'unique et sa propriété"

 

"[…] L'État n'a qu'un seul but : limiter, dompter, assujettir l'individu, le subordonner à quelque chose de général; il ne peut subsister qu'aussi longtemps que l'individu n'est pas tout; il n'est que la manifestation évidente de la limitation de moi-même, de ma restriction, de mon esclavage. Jamais un État ne se propose d'obtenir la libre activité de l'individu, son but permanent, c'est l'activité qui se rattache à son propre destin.

Ne nous laissons pas duper par l'État; sachons voir en lui un fantôme, une création de Moi; ne lui demandons pas de nous accorder un droit dont nous sommes les seuls détenteurs. Ne comptons que sur notre propre puissance.

Je n'exige aucun droit, c'est pourquoi je ne suis obligé d'en reconnaître aucun. Ce que je suis capable de conquérir, je le conquiers, et ce que je ne conquiers pas, échappe à mon droit, je ne me vante ni me console de mon droit inaliénable.

Dans l'association, tu fais valoir toute ta puissance, tes capacités et toi-même, dans la société, par contre, on exploite ta force de travail; dans celle-là tu vis en égoïste, dans celle-ci en homme, c'est-à-dire religieusement; l'association existe pour toi et par toi, la société, par contre, te réclame comme son bien et elle existe même sans toi; bref, la société est sacrée, et l'association ton bien; la société te consomme, mais c'est toi qui consomme l'association.

Ce n'est qu'à partir du moment où je suis conscient de moi-même et que je ne Me cherche plus, que je suis véritablement ma propriété : Je me possède, donc, Je me consomme et Je jouis de Moi. Au contraire, Je ne puis jamais jouir de Moi, tant que je pense qu'il me faut encore trouver mon véritable Moi et en venir à ce que le Christ et non pas Moi vive en Moi, ou bien un autre Moi spirituel, c'est-à-dire fantastique, par exemple, le vrai homme, l'essence de l'homme,...

Nous sommes tous deux, l'État et Moi, des ennemis.

Tout État est une tyrannie, que ce soit la tyrannie d'un seul ou de plusieurs.

Ne cherchez pas dans le renoncement à vous même une liberté qui vous prive précisément de vous-même, mais cherchez-vous vous-mêmes...Que chacun de vous soit un moi tout-puissant.

Les seules choses que je n'ai pas le droit de faire sont celles que je ne fais pas d'un esprit libre.

Et sans doute une des plus belles : Tu as le droit d'être ce que tu as la force d'être […]".

 

Mensuel des années 50' éditée par C-A Bontemps



[1] Source : http://increvablesanarchistes.org/articles/biographies/striner_max.htm.


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