Nathalie
Ménigon : l'oisillon décharné
Dans une minuscule pièce aux mètres carré étriqués, une femme de 47
ans depuis plus de 17 ans, piétine le ciment et tourne en rond en une valse
lancinante d'incertitudes.
Ses larmes, ses peurs, ses cauchemars, ses espoirs, ses attentes, ses épuisements,
ses colères, ses cris, remplissent le froid glacial d'un néant cadenassé.
Militante d'Action directe, condamnée à deux reprises - en 1989 et en
1994- par la cour d'assises de Paris à la réclusion criminelle à perpétuité,
assortie d'une période de sûreté de 18 ans, cette femme est partiellement hémiplégique
à la suite d'accidents vasculaires cérébraux.
Elle se perd dans une souffrance journalière, paralysant son corps et
son cerveau au son de l'indifférence orchestrée d'un État à la vengeance
implacable.
Et la lune rit avec ses dents pourries.
Ses nom et prénom : Nathalie Ménigon.
Nous sommes en France, en l'an 2004.
Par deux fois, une demande de suspension de peine a été mise en délibéré.
La première fois, refusée. La seconde se jouant le 20 Décembre prochain par
la juridiction régionale de libération conditionnelle de Douai dans le Nord du
Pays.
D'ores et déjà, les deux expertises ont conclu que "on état était
compatible avec la détention"
Aucun barreau de prison ne sautera. C'est une évidence. Dormez
tranquilles avec votre conscience. La loi Kouchner, sous influence, condamnée
à se faire une nouvelle fois la malle !...
"E ron et ron et ron petit paPapon..."
Un oisillon décharné agonise sous les yeux du marteau de la justice
dans l'indifférence des guirlandes de Noël et des dindes diamantées.
Lorsqu'il ne lui restera plus que les plumes et les os, les donnera-t-on
au félin paré de griffes rétractiles, pour laisser le sol lisse et propre ?
Comme si le parcours et les convictions d'une femme devaient sombrer
dans l'inexistence. Comme si tout était inutile. Comme si rien n'avait existé.
Pour l'exemple.
Mais même le cri ultime d'un oisillon peut receler quelques
clairvoyances.
Car personne ne naît terroriste. Mais peut le devenir.
La seule vraie question à se poser. Pourquoi ?
Et en réponse ou écho…
Et
si nous n’y prenons garde, nous serons bientôt en 2005 !… En France,
en Belgique, en Allemagne, à Saint-Marin et au Lichtenstein, voire même au Brésil
et en Chine pour autant que les autochtones de ces endroits veuillent bien faire
référence au même calendrier que nous, celui qui commémorerait les exercices
de course de côte avec handicap et d’exhibition aux barres croisées d’un
brillant athlète couronné d’épines pour ses exploits.
Parlons-en
tiens de celui-là. Tout compte fait, hormis qu’il s’est affublé du titre
de fils d’un dieu plus intransigeant que certains pères, il a suivi le même
chemin que toi : conviction profonde, propagande par l’acte,
emprisonnement et même exécution sommaire et barbare.
Mais
chacun puise la justification de ses convictions et des actes qu’elles entraînent
là où son cursus le lui permet et selon les époques ; ô tempora, ô
mores!…
Les
bras écartés comme de grandes ailes inutiles celui-là n’a rien de
l’oisillon que Maï décrit. On dirait plutôt un grand condor froissé par la
cruauté des humains unis dans la même peur, ces sociétés qui, toutes,
successivement, chiffonnent sans autre forme de remords les images qui
ridiculisent leurs clichés et, pire, les rendent obsolètes et injustes. Enfant
des Ardennes belges que je suis, il me fait inévitablement penser à ces
pauvres chouettes et autres hiboux que l’on clouait, vivant, évidemment,
sinon où aurait été la puissance rédemptrice de l’acte, il n’y a pas
encore si longtemps, sur certaines portes pour attirer le mauvais sort ou
l’exorciser. Tandis que toi, comme Maï te décrit, tu me fais plus penser à
un Titi dramatique qu’un Grosminet cruel et enfin vainqueur préfère enfermer
que déglutir, comme ça, pour l’exemple, ô combien plus parlant et moins
encombrant que le martyr qui, lui, ne tombe jamais dans l’oubli.
Je
ne vois hélas aucune raison pour que, en 2005 et plus tard, cette attitude
change. Qui donc a versé le premier sang qui a appelé le sang et le sang
encore, comme la marée versatile, brouillonne et réglée par une lune qui rit
avec ses dents pourries d’une mer toujours à recommencer ? J’ignore
les faits exacts qui t’ont amenée dans ta cage de pauvre petit piaf
grelottant à temps partiel selon ce que la maladie et l’espace te laissent de
mouvements. Je sais juste que tu t’es arrogé deux droits qu’en aucun cas je
ne peux accepter de voir un être humain s’approprier. Celui de juger sans
appel et, par sujétion simpliste, celui de sanctionner ce jugement par la peine
de mort. S’il m’était donné d’être auprès de toi et de pouvoir échanger
quelques mots j’aurais les yeux battus de larmes mais je les fixerais quand même
dans les tiens pour te dire "Désolé petite sœur, mais là, je suis pas
d’accord". Je le dirais car pour moi ton geste signifie que tu t’es
fait avoir, comme une bleue. Tu t’es fait baiser par ces salauds qui ont réussi
à fabriquer avec un bon être humain une bombe de haine. Ils t’ont eu mon
pauvre petit moineau. Avec leur injustice, leur indifférence, leur cruauté,
enfin bref tout leur arsenal que nous connaissons si bien, ils t’ont fait ébouriffer
tes petites plumes et pousser tes petits bouts de pattes jusqu’à ce que tu te
crois aigle en taille et équipée de serres. Ils n’ont même pas eu besoin de
tresser de filet plus grand ou de construire une cage plus vaste. Moineau tu étais,
moineau tu es restée, mais, contre toutes leurs attentes, probablement le
savais-tu. C’est leur seule défaite, c’est en petit moineau aussi courageux
qu’un aigle que tu es allée au combat et non, comme ils le croyaient, gonflée
par leurs manipulations que tu t’es approprié l’orgueil de l’aigle pour
frapper. Mais tu les as frappés et comme tu l’aurais fait si eux avaient
frappé un des tiens, ils ont répondu par une violence encore plus grande, le
sang n’a jamais appelé que le sang. On ne naît pas plus patron que
terroriste, on peut aussi bien devenir l’un ou l’autre. Ce qu’il y a de
pire pour moi quand on s’octroie le droit de tuer vois-tu, mi pt’it mouchon
[1], c’est qu’on a juste arrêté le cours d’une ou plusieurs vie au prix
de la perte de sa propre humanité et alors, ils ont gagné …Les mots de la
main mystérieuse s’inscrivent ensuite dans un ciel couleur de sang ou sur les
murs chaulés et blafards d’une cellule "Mane, thecel, pharès",
"Compté, pesé, divisé". Ce n’est pas la loi et encore moins la
justice, c’est la lune aux dents pourries qui joue comme une mégère
inconsciente avec les marées de notre sang et la mer, la mer toujours recommencée.
J’aime
les oiseaux bien qu’ils sont plutôt agressifs entre eux. Mais, quand plus
rien ne va, je m’assieds dans le jardin et je les regarde vivre, ça me fait
du bien. T’imaginer en cage me trouble au-delà de ce que je peux écrire. Je
ne te connais pas petit piaf mais je te souhaite le courage de regarder aussi
loin que tes yeux puissent voir au-delà de tes grilles et puis de prendre ton
envol vers les cieux que tu mérites. Je ne te connais pas petit piaf mais, même
si je n’approuve pas ce que tu as fait, tu seras toujours en mon cœur, non
pas comme un regret, comme une force et là … c’est toi qui as gagné.
Salut
l’oiseau.
Pt’A.
[1]
Mon p'tit moineau en Wallon.