Ode à l'attentat pâtissier

 

      Il paraît que, c'est sûr, le ridicule tue.
      Tuons donc sans pitié, du premier au dernier,
      Les emmerdeurs fliqueux, les gagneurs de deniers,
      les intellos foireux aux théories obtues.
      Tuons sans plus tarder les sales moucherons
      Qui voudraient de l'ennui être les chaperons.
      Tuons les empêcheurs de rigoler en rond,
      En carré, en ovale, en ce qu'il vous plaira.
      Tuons tous ces salauds, ces castrateurs, ces rats,
      Tuons dès à présent tous ces vils scélérats.
      Tuons les cons, les flics, les collecteurs d'impôts,
      Les juges, les bourreaux, les suiveurs de troupeaux,
      De tous ces cancrelats trouons vite la peau.
      Tuons également des patrons les suppôts
      Qui se font, pour trahir, délégués syndicaux.
      Tuons les militants, des fachos aux cocos,
      Qui prônent pauvrement de pauvres idéaux
      Et freinent nos désirs qui montent vite et haut.
      Envoyons en passant la calotte au poteau:
      Curés, rabbins, pasteurs, tuons ces zigotos
      Ainsi que leurs alliés soi-disant marginaux
      Dont la stupide foi d'esclaves paranos
      Insulte nos raisons de seigneurs surpuissants,
      Nous qui sommes tous dieux dans notre propre sang.
      Tuons évidemment les gardiens de prisons,
      Tous les politiciens, tous ceux dont l'horizon
      Est de borner le nôtre à de strictes limites
      Qui donnent à bouffer la liberté aux mites.
      N'épargnons point, non plus, messieurs les militaires;
      Immolons ces guignols et faisons-les se taire.
      N'oublions pas, mourdious! de tuer les psychiatres
      Qui de nos subconscients se déclarent les pâtres.
      Tuons tous ceux qui croient qu'un bulletin dans une urne
      Changera le merdier qui nous casse les burnes.
      Tuons qui se complaît, pourvu que l'on surnage,
      Dans un monde vaseux qu'en vain l'on aménage
      Tuons ce qui concourt par de pâles réformes
      A garder nos vécus vassaux des vieilles formes.

      ***

      Il faut, pour réussir, donner à not' révolt'
      Une force d'impact de cent milliards de volts.
      Libérons nos passions! Soyons paroxystiques!
      Exigeons des plaisirs hautement frénétiques!
      Détruisons et brûlons tout ce qui nous empêche,
      De quelconque façon, d'avoir toujours la pêche! (...)

      ***

      Le travail est un mal, cultivons la paresse:
      Au lieu de travailler, couvrons-nous de caresses!
      A bas le dévouement, le goût du sacrifice,
      A bas la modestie sur laquelle je pisse!
      Rions, baisons, vivons, et à bas l'ascétisme
      Qui mène tant de gens tout droit au crétinisme!
      Mort aux institutions! Redevenons sauvages!
      De tous les pisse-froid décidons le carnage!
      Apprenons aux enfants à brûler leurs écoles,
      A copuler entre eux, à boire de l'alcool!
      Allons d'un pas coquin faire mille conquêtes
      Chez les vieux occupants des maisons de retraite:
      Avec eux nous ferons de folles bacchanales,
      Mettant la joie au coeur, ainsi qu'au trou de balle,
      De ces aïeux chenus qui si près de la tombe
      Rigoleront enfin tout en faisant la bombe.
      Pour combattre l'ennui soyons des flibustiers:
      A son abolition donnons-nous tout entier!
      Avec acharnement, ruons dans les brancards:
      La guerre est déclarée contre tous les tocards!
      Mais n'acceptons jamais de marcher au martyre:
      Zut à tous les héros qui rêvent de souffrir!
      N'omettons point, crénom! de jeter bas les grilles
      Qui depuis deux mille ans constituent la famille,
      Non plus que les ghettos de rigueur carcérale
      Que sont les prétendues communautés tribales!
      Proclamons qu'à tout coup la femme devient moche
      Quand elle est transformée en pondeuse de mioches! (...)
      Il arrive parfois que lors de quelque crime
      De son propre bourreau complice est la victime;
      N'ayons donc en ces cas nulle pitié pour elle,
      Qui n'est à ses dépens qu'une bête cruelle.
      Nous n'avons pas en nous les élans masochistes
      Des libéraux tarés et des sots humanistes:
      Soyons intolérants! Vive le terrorisme!
      Nous irons jusqu'au bout de ce jusqu'au-boutisme,
      Balayant devant nous ceux qui n'ont d'autre envie
      Que de s'enquiquiner en disant: "C'est la vie!"
      Nous voulons que la vie, justement, soit la fête,
      Et pour y parvenir nous ferons place nette,
      Nous sommes impatients, il est urgent de vaincre:
      Nous n'avons pour l'instant pas le temps de convaincre.
      Haro sur l'ennemi! Sautons-lui sur le râble!
      Pas de juste milieu! Soyons déraisonnables!

      ***

      Je crains que sur ce ton je ne m'égare (de l'Est),
      Oubliant de lâcher, si je n'y prends garde, du lest.
      Il me semble évident, pour abattre la bête,
      Qu'il faut soigneusement la viser à la tête.
      Il est donc décisif que les prioritaires,
      Parmi tous les gredins qu'il faut jeter à terre,
      Soient ceux qui voudraient bien penser à notre place.
      De les tuer d'abord, ceux-là, ayons l'audace (...)
      En leur flanquant des coups plus forts que ceux d'Hercule,
      Des coups sans rémission: des coups de ridicule.

      ***

      A moi Pieds Nickelés, Abott et Costello,
      Et Laurel et Hardy, mes amis, mes poteaux!
      Placée entre vos mains toute tarte à la crême
      Se mue magiquement eu une arme suprême.
      Rondid'jiu! gloire à vous et gloire à Mack Sennett!
      Vous avez inventé, je l'affirme tout net,
      L'attentat culturel le plus croquignolet,
      Le plus tord-boyautant, le plus ollé-ollé,
      L'attentat le plus gai auquel on s'est hissé:
      C'est à vous que l'on doit l'attentat pâtissier,
      Cet attentat farceur, cet attentat de rêve,
      Cet attentat dont nul, jamais, ne se relève.
      N'importe quel crétin, lorsqu'il est entarté,
      Est comme mort, occis, à jamais écarté;
      Il est atteint, de fait, au point le plus sensible,
      A savoir son honneur, qui a servi de cible.

      ***

      J'ai pour ma part, ma foi, voici quelques années,
      Entrepris vaillament une ferme croisade
      D'attentats pâtissiers teintés de rigolade.
      Ceux qui furent visés reçurent sur le nez,
      En public, brusquement, une tarte à la crême
      Que j'ai tenu, bien sûr, à leur lancer moi-même.
      Aucun ne s'en remit: on chercherait en vain,
      Parmi ces entartés qui sont dix-huit ou vingt,
      Lequel a survécu à son entartement:
      Tous sont morts désormais, définitivement,
      Etouffés et broyés par tant de ridicule,
      Mieux enterrés sous lui que sous un monticule.
      J'ai entarté d'abord Marguerit Duras,
      Dont les livres m'ennuient et les films m'agacent;
      Elle est vouée, depuis, pis qu'à l'anonymat,
      Momifiée par les pieux Cahiers du Cinéma.
      J'ai frappé peu après, pour me faire la main,
      Un prénommé Henri dont le nom est Guillemin:
      Ce radoteur savant, dans ses livres d'Histoire,
      Prenait trop, pour mon goût, ses lecteurs pour des poires:
      Depuis lors la télé ne le montre plus guère,
      C'est oublié qu'il gît ou que, spectral, il erre.
      Agissant une nuit au nom de Terpsichore,
      D'un chorégraphe odieux le bec j'ai voulu clore.
      C'était ce Stalinien de Maurice Béjart,
      Aux entrechats balourds autant que ceux d'un jars:
      Qui se soucie (ou là) que Béjart vive encor
      Ou que les asticots aient boulotté son corps?
      Autre exemple au hasard, sachez que j'ai bien ri
      En entartant le groin de Marco Ferreri.
      C'était sous le soleil, au festival de Cannes,
      Et mon courroux grondait, ouvrant toutes ses vannes,
      Contre le cinéaste ayant fait à l'esbrouffe
      un certain bruit bidon avec sa Grande Bouffe:
      Ferreri illico, malgré sa vaste panse,
      Sous l'outrage crémeux retomba en enfance.
      Il ne balbutie plus, conspué des badauds,
      Que ces séniles mots: "Pipi-caca-dodo..."
      Si vous les aviez vus, ces pantins culturels,
      Ces Duras étriquées, ces Guillemin solennels,
      Ces Béjart chichiteux, ces Ferreri ventrus,
      Plus grotesques encor que nul ne l'aurait cru,
      Si vous les aviez vus dégoulinants de crème,
      La pâte du gâteau souillant leurs faces blêmes,
      Si vous les aviez vus demeurer, ahuris,
      Bras ballants face à moi, oh! que vous auriez ri!
      Sachez-le, sacrebleu! c'est bien de ridicule
      Que sous mes coups tarteux sont mortes ces crapules.

      ***

      Mais il ne faudrait point, car se serait dommage,
      Dormir sur ces lauriers: aussi, ferais-je un gage.
      Je vais non seulement repartir en croisade,
      Frappant ici et là au gré de mes balades,
      Provoquant la terreur très pâtissièrement
      En lançant mes gâteaux imperturbablement,
      Mais je vais de surcroît multiplier mes cibles
      Et m'en prendre à tous ceux que j'estime nuisibles.
      En toute heure, en tout lieu, je surgirai de l'ombre,
      Et jetterai, vengeur, des tartes en grand nombre.
      Je frapperai partout, nul ne m'échappera.
      Je serai sans pitié: on verra c'qu'on verra!

      ***

      Si ça ne suffit pas, ma patience a des bornes:
      Je prendrai aussitôt le taureau par les cornes,
      Et d'onctueux étrons seront bien plus utiles
      Que de la Chantilly sur mes chers projectiles.

      ***

      Mais si malgré cela quelques crétins s'avèrent
      De mériter encor châtiment plus sévère,
      Ma fureur désormais n'aura plus de limite:
      J'emploierai des gâteaux truffés de dynamite!


      Georges Le Gloupier, 1981


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