Pourquoi je suis athée
Pour se situer par rapport au
sujet en titre je vais d'abord faire deux remarques:
1)
Je ne me définis comme athée que parce que de nombreuses personnes affirment
encore l'existence d'un grand architecte de l'univers. Dans la vie de tous les
jours je ne sens aucunement le besoin de me référer à un Dieu, donc de me définir
par rapport à son existence, ni de savoir si les gens que je côtoie croient ou
non en son existence. Il m'apparaît superflu de se définir par rapport à ce
qui n'existe pas. Ceci dit, je respecte ceux qui y croient sincèrement s'ils le
font dans le respect de ma propre liberté.
Je dirais donc qu'être athée, c'est vivre tout naturellement sans faire
d'hypothèses sur l'existence d'un créateur de l'univers qui serait à la fois
omniscient, omniprésent, tout-puissant, etc., et qui aurait créé l'univers
dans le but d'y établir des hommes dont la vie serait immortelle. Les religions
monothéistes actuelles disent que ce créateur se serait révélé aux hommes
par la voix de certains prophètes, Jésus pour les chrétiens (Jésus serait
lui-même un Dieu en trois personnes), Mohammed pour les musulmans, etc. Chaque
religion repose sur un ensemble de croyances diverses étant toutes des vérités
dogmatiques, accompagnées de rites et de pratiques plus ou moins obligatoires
pour leur observance. Les religions tiennent principalement leur force de la répétition
depuis des millénaires, dès la naissance, via l'enseignement et les rituels,
des mêmes dogmes et de l'entretien soutenu de la peur de la mort et de
l'exploitation de la souffrance et de la pauvreté. Je ne dis pas qu'il n'y a
aucun élément de sincérité chez les adeptes des religions; toutes les causes
collectives ont produit leurs saints, leurs martyrs, leurs héros. Je dis
seulement qu'on ne peut aborder la vie en se berçant d'illusions, d'autant plus
si ces illusions sont présentées comme des idées qu'il nous faut croire,
sinon c'est la réprobation, la damnation, et même la mort (il suffit de suivre
l'actualité pour le savoir).
2)
Ma deuxième remarque est qu'en principe je crois que chaque individu a le droit
de croire à ce que bon lui semble, à condition que ces croyances ne posent
aucune entrave à la liberté d'autrui. Je me fous donc si certains croient à
la cartomancie, à l'astrologie, aux miracles, aux apparitions de la sainte
Vierge, aux ovnis, etc. Libre à eux d'y croire, et libre à nous de les
critiquer, sans aucun autre préjudice. Cependant, nous savons très bien que la
vertu de tolérance n'est pas l'apanage des religions puisqu'elles détiennent
toutes la vérité absolue et qu'entre l'enfer dans l'au-delà et l'enfer
ici-bas il n'y a qu'un pas qui, historiquement, a été vite et est encore vite
franchi dans certains pays.
Je donnerai donc brièvement
mes principaux arguments: d'abord sur les religions elles-mêmes et ensuite sur
la croyance en un Dieu, en supposant que l'on puisse séparer cette croyance en
Dieu de son expression religieuse; il y a aussi le point de vue agnostique selon
lequel on ne peut ni prouver ni réfuter l'existence de Dieu.
La manifestation
religieuse de la croyance en Dieu
De même que nous pouvons juger
un arbre à ses fruits, les religions ne peuvent être que le reflet de l'idée
même de Dieu. Évidemment, les Églises seraient devenues humaines, et
par conséquent leurs prêtres sont aussi des pécheurs (quoique la dénonciation
vienne d'abord de l'extérieur comme dans les nombreux cas de pédophilie
homosexuelle qui ne sont pas uniquement le fait de l'Église catholique). Mais
les Églises n'admettront jamais se tromper sur des sujets remettant en question
les fondements même des dizaines de théologies opposées qu'elles défendent,
et qui sont toutes prétendument vraies.
Or, les conséquences des
croyances religieuses sont désastreuses. On ne me fera pas accroire que le
bilan de la religion a été positif pour l'humanité. Il y a des éléments
positifs mais le bilan est négatif. La religion a empêché l'humanité de voir
clair, de penser rationnellement, de trouver des solutions aux problèmes autres
que celles sorties, par exemple, de la Bible ou du Coran ou de tous les livres
que l'on peut citer mécaniquement pour appuyer une thèse. Elle a réduit les
femmes à la procréation, quand elles n'étaient pas brûlées comme sorcières
ou aujourd'hui encore, lapidées ou violées collectivement (cela s'est produit
récemment au Pakistan); elle nous a enseigné que le doute est un péché; elle
a réduit la connaissance à celle des enseignements des Églises; tout ce
qu'elle a fait, c'était à contre-courant du développement des connaissances;
quand elle s'occupe d'enseignement de matières profanes c'est avant tout dans
le but de contrôler les esprits; encore aujourd'hui, elle se pose comme la réponse
à toutes les inquiétudes, alors qu'elle n'a réellement aucune réponse à
rien. L'humanité a payé chèrement l'obscurantisme sous toutes ses formes. Et
pourtant, la leçon ne semble pas avoir été apprise.
Mon principal argument contre
la religion (il y en a plusieurs mais ils se résument tous à celui-ci) est
qu'elle est fondée sur une théorie de la connaissance où l'idée est considérée
comme vraie du simple fait qu'on puisse l'affirmer (bien sûr, leurs vérités
auraient été «révélées» mais cela revient au même), par opposition à la
connaissance scientifique qui est fondée sur l'observation, l'expérimentation,
et qui est accompagnée de cet esprit critique essentiel au développement de la
connaissance et qui permet de rester ouvert à tout ce qui pourrait contredire
nos conceptions acquises et socialement acceptées. Les théologiens raisonnent,
si on peut dire, mais en se servant uniquement d'une logique sui generis
qui sert à démontrer que les dogmes se tiennent entre eux... alors que leur
raison d'être, pour ce qui est par exemple du christianisme, qui est Jésus
(d'un mot latin) ou le Christ (d'un mot grec), n'a même pas pu être établie
exactement en tant que personnage historique.
Ce n'est donc pas un hasard si
les religions ont constamment été en lutte contre la connaissance
scientifique. Encore aujourd'hui, aux États-Unis en particulier, on assiste à
une polémique entre créationnistes d'une part, et évolutionnistes d'autre
part, près de 150 ans après la publication de l'ouvrage principal de Darwin
sur l'origine des espèces. Les dogmes et les préjugés sont tenaces.
Mon second argument, qui découle
indirectement du premier, est que les religions, malgré leurs prétentions de
gardiennes des bonnes mœurs et de la morale (et par conséquent du ... salut
des âmes), comme promoteurs de l'amour du prochain et de la charité, sont
foncièrement immorales. Ce qu'il y a de bien dans la religion a été emprunté
à la morale naturelle, à ces règles de comportement que les animaux d'une même
espèce respectent mieux que plusieurs humains. Combien de crimes ont été ou
sont commis par cette morale figée, rapetissée, obsédée par le sexe, appliquée
sans discernement, dans la déraison? Quand les religions ne bénéficient pas
du bras de l'État elles continuent à damner ceux qui s'opposent à elles.
Combien de «saints», qu'elles n'ont jamais ... canonisés, ont-elles torturés
et massacrés au nom de Dieu et de la foi au cours des guerres de religion ou
par le bras de l'Inquisition? Si le nazisme et le communisme, deux idéologies
totalitaires qui ont en commun avec la religion une foi absolue, ont été
reconnus coupables de crimes contre l'humanité pourquoi les religions s'en
tirent-elles à si bon compte? C'est sans doute que la foi rend aveugle vis-à-vis
tout ce qui contredit la foi et que nous en sommes encore à une longue période
de préhistoire, même si l'anthropologie situe la préhistoire à une autre époque.
Distinguons la foi de la
majorité des croyants de celle défendue par les institutions religieuses. La
majorité des croyants professent une religion par coutume et pour satisfaire un
certain besoin d'appartenance à un groupe; on ne peut ipso facto les taxer
d'intolérance systémique bien que l'on observe généralement chez eux une
absence d'esprit critique et une crédulité endémique, du moins face à l'idéologie
religieuse. Cette crédulité est plutôt inoffensive quand elle ne conduit pas
à une négation de la liberté d'expression et à celle de choisir autre chose
que la religion. Toute autre est l'attitude des institutions religieuses, en
particulier le catholicisme (et en général le christianisme), l'islam, le judaïsme
et l'hindouisme; elles recherchent constamment l'appui de la loi, donc de l'État,
afin d'imposer leur pouvoir sur les consciences.
Je crois que ces deux arguments
suffisent pour que l'on mette à l'écart toutes les religions, qu'elles soient
fondées sur l'adoration de Dieu ou l'adoration de l'État, de la nation, de la
race, etc. Les religions sont au mieux des mythologies qu'il ne faut prendre au
sérieux que parce que leurs adeptes se prennent souvent au sérieux et qu'ils
continuent en certains pays à tuer au nom du Dieu qu'ils adorent, comme
certains dieux exigeaient il y a des siècles des sacrifices humains. Je sais
que ces propos peuvent attirer de multiples objections ... religieuses, mais je
vous avertis à l'avance que mon discours ne se situe pas au niveau de la métaphysique
et de celui des idées intuitives; si on entend me démontrer la vérité de la
foi religieuse, par exemple, par la beauté des cathédrales et des mosquées,
ou par les peintures ornant la chapelle Sixtine (qui ont sans doute surpassé l'
«art» spartiate du nazisme et du communisme), ou par le fait que plusieurs
brillants esprits et même des scientifiques y croient, c'est qu'on est à court
d'arguments. La preuve du nombre n'a jamais été qu'une observation
statistique.
L'idée de Dieu
Avant de devenir un Dieu
unique, les hommes ont adoré à peu près tout ce qui leur était incompréhensible,
le feu par exemple. De plus, l'idée de Dieu est indissociable de celle du
Diable, une dualité qui est le fondement de la foi religieuse. Comme quoi la
foi est mue par une certaine dialectique, Dieu ne détenant sa vérité que par
son combat contre le Diable. Si je suis athée, je suis donc ipso facto ...
a-Diable. Mais passons. Donc, loin de nous la création du monde selon la Genèse,
la conception centriste de l'univers (selon laquelle la planète terre était
plate et le soleil et les étoiles tournaient autour de la terre), le péché
originel, les anges, l'enfer et le ciel et la démonstration thomiste de
l'existence de Dieu (Thomas d'Aquin avait été chargé par un pape de réconcilier
les dogmes chrétiens à la philosophie d'Aristote; rappelons que c'est grâce
aux Arabes si nous avons connaissance des œuvres d'Aristote, traduites de
l'arabe, l'Église ayant détruit la plupart des livres de l'Antiquité). Même
le «Big Bang», récupéré par les théologiens, ne réussit plus à démontrer
l'existence d'un créateur car l'astrophysique a trouvé ... des «trous noirs»
(il y en aurait un au centre de chaque galaxie, y compris la Voie Lactée) et
ces trous noirs, explosant en supernova, seraient à l'origine des «Big Bang».
L'astronomie nous a sûrement mieux fait connaître le ciel que les théologiens;
qui peut encore en douter? Et nous n'avons pas terminé d'en connaître
davantage!
Ceci veut dire que nous
pensons... Cela implique-t-il que nous avons une «âme», cette entité indépendante
du corps? Il m'apparaît farfelu de concevoir l'esprit comme étant dissociable
du cerveau d'autant plus que plusieurs, malheureusement, ont un cerveau mais pas
ou peu d'esprit.
Même si l'idée de Dieu est
devenue plus sophistiquée avec le temps (grâce au progrès des
connaissances...) sa démonstration revient toujours au point de départ de l'idéologie
religieuse: la foi; et pour avoir la foi, il faudrait avoir cette «grâce» qui
nous permettrait, dit-on, d'entrevoir le divin. Cette démarche s'inscrit sans
doute dans une réflexion sur ce que nous sommes, d'où nous venons, pourquoi
nous existons, pourquoi la mort, pourquoi la souffrance, la méchanceté, etc.
Mais elle est fondamentalement irrationnelle et ne conduit à rien d'autre qu'à
une évacuation des vraies réponses à toutes ces interrogations légitimes.
Face à nos interrogations sur
l'existence il y a trois possibilités. L'une s'ouvre sur l' «expérimentation»
mystique et sur une vie intérieure imaginaire, totalement intuitive, déconnectée
du monde réel (c'est-à-dire que le monde que l'on s'imagine «en soi» est
considéré comme une réalité), à la limite indépendante des religions (ce déisme
a-religieux explique néanmoins la naissance et l'évolution des religions).
C'est l'option défendue entre autres par le philosophe catholique Henri Bergson
(1859-1941) qui pensait ainsi démontrer la rationalité (intuitive) de l'idée
de Dieu bien qu'il ait été réprimandé par l'Église. Pour un psychiatre, ce
déisme peut servir à expliquer certains phénomènes psychiques, comme les
apparitions, les voix, les hallucinations, les visions.
La deuxième option qui s'offre
à nous est celle du réalisme qui nous oblige à voir stoïquement les choses
telles qu'elles sont et à s'efforcer dans la mesure du possible d'améliorer
notre condition. La vie est ce qu'elle est et il n'est nul besoin ontologique et
téléologique qu'elle se cherche une raison d'être autre qu'elle-même. La vie
est sans doute le résultat d'un immense chaos qui s'ordonne de lui-même, mais
si c'est la réalité, il vaut mieux ... s'ordonner en conséquence au lieu
d'invoquer les dieux. C'est l'option athée.
Pourquoi y a-t-il si peu de
gens se déclarant ouvertement athées? Probablement parce qu'ils sont ... peu
nombreux et que la plupart des non-pratiquants d'une religion ne se préoccupent
guère des questions philosophiques et ne poursuivent pas leur questionnement
jusqu'à ses conclusions logiques. Mais il y a une autre raison, à mon avis
plus déterminante: c'est que l'athéisme n'offre pas de chimères, de faux
espoirs, de paradis après la mort, d'une promesse de survie entouré de jeunes
vierges, d'un «concert» de chérubins et de séraphins, etc. L'athéisme est
exigeant puisqu'il oblige à se confronter à la réalité. Cette réalité,
c'est que nous devons agir en êtres responsables puisqu'il n'y a pas de Dieu à
invoquer dans le malheur et que nous ne pouvons non plus l'accuser de tous nos
maux (comme le font certains croyants), puisqu'il n'existe pas.
Pour terminer, quelques mots
sur la troisième option, celle de l'agnosticisme. Le mot a été utilisé une
première fois en 1869 par le biologiste anglais Thomas Henry Huxley
(1825-1895), défenseur du darwinisme, qui a écrit des essais philosophiques et
théologiques. Les agnostiques se définissent par rapport aux gnostiques
(adeptes d'une métaphysique), du grec qui veut dire «connaissance». Par
rapport à l'idée de Dieu, les agnostiques disent que nous ne pouvons ni démontrer
son existence, ni démontrer qu'il n'existe pas, quoique leur méthode de
connaissance soit essentiellement empirique, donc ... athée. Ce point de vue a
été aussi attribué à David Hume (1711-1776) et au philosophe allemand
Emmanuel Kant (1724-1804). Toutefois, Kant proposait une religion universelle et
Hume était un pur sceptique; tous deux s'opposaient à l'empirisme de John
Locke (1632-1704) dont la contribution a été considérable (par sa critique en
particulier des thèses exprimées par Hobbes dans le Leviathan). Dans la
mesure où l'agnostique dit que nos connaissances viennent de nos perceptions
(je simplifie), il est un athée; dans la mesure où il critique les sciences
dites occultes (le paranormal) et les sectes (petites, comme le Raël, ou
grandes, comme l'Islam) mais se refuse à appliquer le même raisonnement à
l'idée de Dieu, il est un crypto-gnostique, c'est-à-dire (pour être plus
nuancé) un incroyant qui refuse de ne pas croire.
Yvon Dionne, 8 août 2002
(Source : http://pages.globetrotter.net/yvon_dionne/
)