Préface, qui n’est point un Rêve
à "L’Antipapisme révélé ou Les
Rêves de l’Antipapiste", texte daté de 1767 de Henri-Joseph Du
Laurens (1719-1793), piqué sur : http://du.laurens.free.fr/
[L’orthographe et la ponctuation d’origine ont
été respectées.]
Si tous les Hommes ne
reconnoissent qu’un seul Dieu, tel que la raison nous l’annonce, ou tel
qu’il se peint lui-même dans la grandeur de ses Ouvrages ; comment
concilier l’Unité,
la Perfection Divine
, avec la génération d’un Fils, qu’on dit être Dieu comme celui qui l’a
procréé ? S’il est vrai qu’il est Dieu lui-même, d’où vient
qu’avec le même principe il veut avoir la même fin qui nous est commune à
tous ? Pourquoi nous prouve-t-il qu’il est Homme par sa naissance ?
Et pourquoi permet-t-il que sa Divinité se contredise avec sa mort ? Non,
la raison ne peut allier la possibilité d’un Dieu, qui veut naître homme,
avec l’incompatibilité d’un Homme-Dieu, qui se dépouille de sa Divinité,
pour la reprendre après sa mort. Tout est incroyable, tout est en opposition
dans ce Mistere. Comment se peut-il que
la Créature
donne la vie au Créateur, que la partie produise le tout, qu’une figure
d’argile, donne l’être & la force à celui qui la pêtrit, & la
jette au moule. Il faut pourtant respecter le voile qui couvre cette
contradiction, & faire d’une chose impossible à croire le premier objet
de sa créance, ou risquer d’être traité d’impie, d’abominable, &
jugé digne d’être brûlé dans ce monde & dans l’autre.
Mais pourquoi condamner la
raison qui ne veut point admettre la possibilité d’un effet qui précéde la
naissace de sa cause ! Est-il à présumer que la connoissance des Prêtres
soit plus étendue que celle de Jesus, eût-il ignoré qu’il étoit égal à
son Pere, s’il eût partagé son essence ? Et puisqu’il a dit lui-même,
comme le rapporte très-bien son Disciple Jean XIV. Le Pere est plus grand que
moi ; Pourquoi séparer
la Divinité
paternelle de la sienne, quel peut être l’objet de la différence qu’il a
voulu mettre entre l’une & l’autre ? Pouroit-il être Dieu lui-même
sans se connoître ? Et doit-on supposer une Essence divine dans celui qui
peut l’ignorer & la démentir ?
Le Seigneur Jesus, s’est-il
jamais annoncé pour être le Fils de Dieu ? A-t-il jamais voulut se parer
d’une Divinité fausse ou réelle ? Oublia-t-il un moment qu’il étoit
l’Homme-Juste, & qu’il devoit le sacrifice de son orgueil à l’amour
qu’il eut toujours pour la vérité ? Quelle sublimité de vertu ne
falloit-il avoir pour s’élever au-dessus d’un moyen qu’il auroit pu
rendre utile à sa puissance, & même aux desseins qu’on veut lui prêter.
Loin de vouloir être honoré comme Fils de l’Eternel, il se fit une étude,
un devoir même, de fermer la bouche à tous ceux qui lui prodiguoient cet
auguste Nom, parce qu’il s’en croyoit indigne, & qu’il savoit bien
qu’il ne lui étoit pas du. Ce qui sert à nous prouver que si le Sauveur eût
été effectivement de la même Essence que son Pere, il n’auroit pas manqué
de faire éclater sa Grandeur, de paroître & d’agir en Dieu, puisque de
notre aveu même, c’étoit le principe & l’unique fin qu’il devoit
avoir dans sa Mission.
Me dira-t-on, que Dieu-même à
reçu le tendre nom de Pere de la bouche de Jesus, mais a-t-il prononcé ce nom
dans un autre sens que celui que nous lui donnons chaque jour, lorsque nous récitons
l’Oraison Dominicale.
Mais pourquoi chercher à
diviniser
la Naissance
de Jesus ? Pourquoi la couvrons-nous d’un voile sacré qu’il dechire
lui-même ? Ne savons-nous pas que l’idée d’un Fils de Dieu fait
Homme, nâquit au sein de l’Idolâtrie, & que cette opinion, qui précéda
le berceau du Christianisme, long-temps honorée chez les Païens, fut transmise
ensuite aux premiers Chrétiens, qui la reçurent comme une vérité sainte,
& non comme un fruit de l’erreur, puisqu’il devoit sa premiere culture
au Paganisme.
Et ne suffit-il pas de jetter un
coup d’œil rapide sur l’Histoire de l’Esprit-Humain, pour voir qu’il a
suivi dans tous les Siecles la même opinion, & qu’en remontant à la
source des Révolutions qu’il peut avoir éprouvé, on la découvre toute
entiere dans la variété des objet, & non dans l’uniformité des idées,
qui se ressemblent chez tous les hommes, & dans tous les âges. Parcourez
la Theogonie
des Egyptiens & des Grecs, vous n’y trouverez par-tout que des Dieux
incarnés, ou des hommes déifiés, & le Culte qu’on leur adresse, sera
l’emblême des différentes qualités qu’ils nous ont fait adorer. Vous
verrez que leurs Autels ne différent que par la maniere dont on les encense,
& qu’à leur empreinte uniforme on reconnoit par-tout la main qui les pétrit,
ou le ciseau qui les façonne.
De-la vient que
la Religion Chrétienne
, s’accorde si bien avec le Génie des Prêtres, dont elle est l’ouvrage,
& que les mêmes raports qui l’identifient avec l’esprit Sacerdotal, la
mettent sans cesse en opposition avec
la Doctrine
de Jesus. Car plus on l’examine, plus on voit qu’il est impossible de
concilier l’amour du prochain avec le sistême d’une Religion qui
l’attaque & le détruit. Ce principe qui renferme toute
la Logique
des vertus est d’autant plus contraire à l’établissement du Christianisme
qu’il est inséparable du bonheur des hommes, & qu’on ne peut puiser
dans
la Morale Chrétienne
, que le poison du bien public, & la haine des vertus qui le produisent. Or,
je demande, si l’Homme Juste, qui regarde cet amour du prochain comme le
premier besoin de l’humanité, & qui connoit assez le vuide de nos cœurs
pour sentir qu’il ne peut être rempli que par cette amitié réciproque ;
je demande, dis-je, si l’Auteur d’une Morale si précieuse à tous les
hommes, voudroit ouvrir & corrompre en même-temps la source de notre
bonheur, & s’il est possible qu’il voulut mêler dans nos cœurs le
germe de
la Haine
& de
la Discorde
, aux semences de l’Amour, & de
la Paix. Pouvoit-il
ignorer que le calme ne regna jamais dans le sein d’un nouveau Culte, &
que plus une Religion naissante croit avoir des droits sur la crédulité des
Peuples ; plus elle a d’ennemis à combattre & de divisions à
produire, sur-tout lorsqu’à l’exclusion de toutes les autres, elle nous
attire & nous flatte, par les promesses d’un bien qui ne peut être donné
que par elle. Le Seigneur Jesus, connoissoit trop bien le génie des Prêtres,
pour ne pas savoir que l’art d’étouffer en nous le germe des vertus
sociales, étoit la premiere leçon qu’on apprenoit à leur école, il savait
trop bien qu’entre deux Autels que l’on encense d’une maniere opposée, on
vit brûler de tout temps les flambeaux de
la Discorde
, & qu’il les eut allumé lui-même avec le feu de l’Encensoir qu’il
auroit porté dans ses mains, sur-tout en opposant une nouvelle Religion à
celle des Rabins, qui persuadoient au Peuple, qu’un Temple de Porphire &
de Marbre, étoit moins agréable à Dieu, qu’une Sinagogue de Pierre.
L’opinion de cette erreur avoit tellement infecté le Judaïsme, &
corrompu la source de l’amour fraternel, que le Seigneur Jesus qui voioit à
regret la [sic] divisions Schismatiques qui remplissoient
la Sinagogue
, crût que le plus sur moyen de les calmer étoit de changer en plaisir le
premier devoir de l’humanité, en ordonnant à tous les hommes de s’aimer,
& de ne former entre eux qu’un Peuple de freres. Que cette Loi si digne de
son Auteur tienne lieu de Catéchisme à tous les Peuples, & que sa force
toujours nouvelle s’augmente avec la douceur que nous gouttons à la suivre.
Si le desir de faire naître un
nouveau Culte fut entré dans
la Mission
de Jesus ? N’est-il pas vrai, qu’au lieu d’une Morale incompatible
avec celle des Prêtres, il eut adopté le principe sur lequel on doit fonder
toute espece de Religion, & sans lequel elle ne peut subsister, puisque l’édifice
est appuyé sur des fondements qui s’écroulent d’eux mêmes. Ce principe
est que les hommes peuvent offenser
la Divinité
, cepandant au lieu de l’établir, il le détruit entierement dans la reponse
qu’il fait à ses Disciples au sujet de l’Aveugle né, que toute la logique
des Prêtres s’épuise en vains raisonnements pour lui prêter un autre sens,
il n’est pas moins vrai, que les Disciples de Jesus voulant savoir de lui (*)
si cet Aveugle, ou son Pere, ou sa Mere avoient péché, il leur repondit
qu’aucun des trois n’étoit coupable.
Par cette reponse laconique,
& digne d’être écrite en Lettres d’Or, cet homme sage détruisoit
non-seulement le Paganisme, mais il sapoit encore les fondements de
la Sinagogue
, & par les différentes secousses qu’il donnoit à tous les Temples, il
ébranloit celui des Chrétiens, & préparoit la ruine de toutes les Mosquées ;
car si cet aveugle, qui sans doute étoit dans l’âge, ou l’on offroit des
Sacrifices à l’avidité des Prêtres, n’étoit coupable d’aucun péché
par lui-même, ni par les siens, comme nous l’apprend, celui que nous
appellons la vérité-même, que deviennent toutes les fables des Prêtres au
sujet du pretendu péché qu’ils veulent que nous apportions en naissant,
non-seulement, on reconnoit le faux de cette opinion, que l’on veut appuyer de
la venue du Messie ; mais encore on voit que tout ce que
la Religion Judaïque
appelle Sacrifice n’est qu’un beau recueil de mensonges inventés par les
Prêtres. Car enfin, détruisés le péché contre Dieu, vous rompez le charme
qui couvre la magie des Prêtres, & vous n’avez par besoin de leur
ministere.
Et qu’est-ce que l’homme
pour pouvoir offenser un Dieu dont la puissance n’a d’autre mesure que
l’immensité de ses bienfaits, qui voit tous les Peuples Sauvages, & les
Nations éclairées se confondre & se perdre également à ses yeux dans le
vuide immense que remplissent ses bontés infinies, se peut-il, qu’une parole,
un geste, une pensée & même une action pût lui déplaire de la part des
hommes, puisqu’il n’est d’autres péchés que ceux que le gouvernement déclare
tels, & qui sont nuisibles & funestes au bien public. Notre Sauveur
Jesus, a-t’il reconnu des péchés d’une autre nature ? A-t’il jamais
établi la nécessité des Pardons & des Indulgences ? Et que
deviendroient les principes du bonheur public, les nœuds de
la Societé
, les Loix & les Vertus ? Si le droit de substituer le calme de
l’innocence, aux remords du coupable dependoit de trois, ou quatre mots de
Latin aussi mal entendus que mal articulés ?
Si le Seigneur Jesus, eut
ambitionné
la Thiare
, si le faux éclat qui séduisit de tout-temps l’esprit des Novateurs, eut
porté l’illusion dans un cœur qui ne connut que la sagesse & l’amour
des vertus ? Ne pouvoit-il pas reunir dans sa main tout le poids du Sceptre
& de l’Encensoir ? Peut-on se priver de sa fumée, quand on est dévoré
de son yvresse, n’avoit-il par en son pouvoir tous les moyens d’usurper
l’un & l’autre, puisqu’il pouvoit faire servir à ses desseins toutes
les puissances du Paganisme qui gouvernoient alors la moitié de l’Univers ?
Jesus n’est pas venu pour nous
donner des Prêtres, ni pour l’être lui-même, il n’a pensé qu’à faire
des heureux & des sages, il n’a prêché que pour nous apprendre à le dévenir.
Il nous témoigne clairement que sa Mission n’est qu’un hommage authentique
qu’il a dû rendre à la vérité, il est venu pour nous la faire aimer, &
nous inviter à la suivre, tandis que ses prétendus Successeurs nous apprennent
à l’éviter, & ne cherchent qu’à nous la rendre odieuse. Quand Jesus a
parlé pour elle, le miel étoit toujours dans sa bouche, & la clémence
dans son cœur, au lieu que les Prêtres n’ouvroient la bouche que pour
respirer la haine & nous infecter du poison dont elle est remplie. Les
attraits de la douceur ont été les Armes de Jesus, au lieu que la force &
la trahison soutiennent tous les Droits sacrés qui sont établis par la fraude.
On ne voit rien dans la vie de Jesus, pas même dans l’Histoire de ses pensées,
ou de celles qu’on lui prête ; qui ne souleve l’esprit & la raison
contre les opinions de ses prétendus Successeurs, & malgré la
contradiction qui regne entre le mensonge & la vérité, on veut me forcer
à croire que les Oppresseurs de la charité chrétienne, sont les Disciples
d’un homme, qui nous a apprit à la connoître, à la désirer, & à
l’entretenir. La liberté de penser fut la dévise de Jesus, il voulut en être
le Panégiriste & l’Apotre le plus zélé, au lieu que le Catéchisme des
Prêtres n’est plus que le Code de l’ignorance, comme le Tribunal de
la Pénitence
, n’est que l’emblême de la servitude des sens & de la raison. C’est
ainsi que par une conduite bien soutenue & qui ne démentit jamais la
douceur de son caractere, il a prouvé que loin de vouloir augmenter le nombre
des Prêtres, il n’a cherché qu’à les rendre meilleurs & plus utiles.
Ouvrez l’Histoire des Religions depuis que le Monde subsiste, jusqu’au
Siecle ou nous vivons, que trouverez-vous ? Des Ministres qui servent
l’audace d’un imposteur, pour tromper la crédulité des Peuples, des Autels
élevés par la fraude & l’injustice, & qu’on affermit à force de
trahison & de meurtre, un Encensoir qui s’allume aux flambeaux de la
discorde, des Prêtres qui se nourrissent du sang des Peuples, pour être
enrichis des offrandes des Rois : des fers que l’on donne par-tout à la
liberté de penser, l’humanité qui reclame dans tous les Siecles, les droits
de la raison qu’on avilit au pieds des Autels. Voilà l’affreux Tableau que
chaque Religion nous offre dans sa naissance. Peut-on accuser le paisible Jesus
d’avoir voulu donner au monde le spectacle de tant d’horreurs ?
Non-seulement, il n’a pas
voulu s’ériger en maître de nos opinions, mais il a reculé les bornes que
l’on donnoit par-tout à la liberté de penser. Parloit-il en public, chaque
mot qui sortoit de sa bouche nous pénétroit de cet esprit de tolérance qui
devroit être commun à tous les hommes ? Et ne lisons-nous pas dans les
Evangelistes, que malgré la défenses de sa Religion, Jesus n’a pas rougi de
s’entretenir avec des Payens, de converser avec des Samaritains, & de
traiter
la Circoncision
de vieille coutume, en parlant avec des sémi-Juifs. Il a senti que dans l’abîme
des erreurs ou nous sommes plongés, l’homme prendroit souvent une fausse
clarté pour guide, & qu’à force d’épuiser ses recherches, la seule
liberté de penser pourroit nous conduire à la découverte de la vérité.
Oui, s’il est une Religion véritablement
saine, c’est celle qui subsiste dépuis la naissance du Monde, celle que Jesus
à rénouvellé lui-même, qui n’a qu’un seul & même principe, un seul
& même devoir.
O Religion Sainte ! charité
bienfaisante ! C’est à toi de rapprocher les cœurs, & les esprits
que les divisions des Prêtres ont éloigné trop long-temps, & puisque tu
m’a dicté cette Préface, daigne mettre dans l’esprit & dans la bouche
de mon Lecteur toute l’indulgence que j’aurois moi-même pour la foiblesse
de sa plume, ne permets pas que l’on pese cet Ouvrage à la balance des Prêtres.
Je respecte, j’adore
la Morale
de Jesus ; j’en fais l’objet d’une étude profonde ; je la médite
par-tout, & m’y conforme autant qu’il est au pouvoir de mon cœur. Je
crois, je reconnois un Dieu, je l’invoque tous les jours contre la persécution
des Bramines, & dans l’Enthousiasme dont je suis pénétré, je répéte
en secret, ce que disoit autrefois, ce Gymnosophiste Chinois ? Grand Dieu !
que le regne de
la Charité
vienne, puisqu’il doit améner celui de la vérité, qu’il succede bientôt
à tant de Siecles de haine & d’ignorance, simplifie ta Religion pour la
rendre plus pure, renferme la toute entiere dans le seul principe du bonheur des
hommes. Délivre-nous de ce fatal Génie, qui n’a que trop infecté l’Esprit-Humain,
délivre la raison d’un esclavage qui la déshonore & l’opprime, &
que la liberté de penser, & de m’élever jusqu’à toi, éternise un
hommage que je consacre à
la Charité.
(*) Jean IX.,
v. 2
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