Principes d'athéologie[1]
Michel Onfray
L'athéologie se propose trois tâches : d'abord - première partie - déconstruire les trois monothéismes et montrer combien, malgré leurs diversités historiques et géographiques, malgré la haine animant les protagonistes des trois religions depuis des siècles, malgré l'apparente irréductibilité en surface de la loi mosaïque, des dits de Jésus et de la parole du Prophète, malgré les temps généalogiques différents de ces trois variations effectuées sur dix siècles avec un seul et même thème, le fonds demeure le même.
Une série de haines violemment imposées dans l'histoire par des hommes qui se prétendent dépositaires et interprètes de la parole de Dieu - les Clergés : haine de l'intelligence à laquelle les monothéistes préfèrent l'obéissance et la soumission ; haine de la vie doublée d'une indéfectible passion thanatophilique ; haine de l'ici-bas sans cesse dévalorisé en regard d'un au-delà, seul réservoir de sens, de vérité, de certitude et de béatitude possibles ; haine du corps corruptible déprécié dans le moindre détail quand l'âme éternelle, immortelle et divine est parée de toutes les qualités et de toutes les vertus ; haine des femmes enfin, du sexe libre et libéré au nom de l'Ange, cet anticorps archétypal commun aux trois religions.
Après le démontage de la réactivité des monothéismes à l'endroit de la vie immanente et possiblement jubilatoire, l'athéologie peut s'occuper particulièrement de l'une des trois religions pour regarder comment elle se constitue, s'installe et s'enracine sur des principes qui supposent toujours la falsification, l'hystérie collective, le mensonge, la fiction et les mythes auxquels on donne les pleins pouvoir.
La réitération d'une somme d'erreurs par le plus grand nombre finit par devenir un corpus de vérités auquel il est interdit de toucher. sous peine des dangers les plus graves pour les esprits forts - des bûchers chrétiens d'avant-hier aux fatwas musulmanes d'aujourd'hui.
Pour tâcher de voir comment se fabrique une mythologie, on peut proposer - deuxième partie - une déconstruction du christianisme.
En effet, la construction de Jésus procède d'une forgerie réductible à des moments visibles dans l'histoire pendant un ou deux siècles : la cristallisation de l'hystérie d'une époque dans une figure qui catalyse le merveilleux, rainasse les aspirations millénaristes, prophétiques et apocalyptique du moment dans un personnage conceptuel nommé Jésus ; l'existence méthodologique et nullement historique de cette fiction ;l'amplification et la promotion de cette fable par Paul de Tarse qui se croit mandaté par Dieu quand il se contente de gérer sa propre névrose ; sa haine de soi transformée en haine du monde: son impuissance, son ressentiment, la revanche d'un avorton - selon son propre terme... - transformés en moteur d'une individualité qui se répand dans tout le bassin méditerranéen ; la jouissance masochiste d'un homme étendue à la dimension d'une secte parmi des milliers à l'époque : tout cela surgit quand on réfléchit un tant soit peu et qu*en matière de religion on récuse l'obéissance ou la soumission pour réactiver un acte ancien et défendu : goûter du fruit de l'arbre de la connaissance...
Cette déconstruction du christianisme suppose certes un démontage de la fabrication de la fiction, mais aussi une analyse du devenir planétaire de cette névrose.
D'où des considérations historiques sur la conversion politique de Constantin à la religion sectaire pour de pures raisons d'opportunisme historique. Conséquemment, le devenir impérial d'une pratique limitée à une poignée d'illuminés devient clair : de persécutés et minoritaires les chrétiens deviennent persécuteurs et majoritaires grâce à l'intercession d'un Empereur devenu l'un des leurs.
Le Treizième apôtre, comme Constantin se proclame en un Concile, met sur pied un Empire totalitaire qui édicte des lois violentes à l'endroit des non-chrétiens et pratique une politique systématique d'éradication de la différence culturelle.
Bûchers et autodafés, persécutions physiques, confiscations des biens, exils contraints et forcés, assassinats et voies de faits, destructions d'édifices païens, profanation de lieux et d'objets de culte, incendie de bibliothèques, recyclages architecturaux de bâtiments religieux antiques dans les nouveaux monuments ou dans le remblayage des routes, etc.
Avec les pleins pouvoirs pendant plusieurs siècles, le spirituel se confond au temporel...
D'où - troisième partie - une déconstruction des théocraties qui supposent la revendication pratique et politique du pouvoir prétendument issu de Dieu qui ne parle pas, et pour cause, mais que font parler les prêtres et le clergé. Au nom de Dieu, mais via ses prétendus serviteurs, le Ciel commande ce qui doit être tait, pensé. vécu et pratiqué sur Terre pour Lui être agréable !
Et les même, qui prétendent porter Sa parole affirment leur compétence dans l'interprétation de ce qu'il pense des actions effectuées en Son nom...
Déconstruire les monothéismes, démystifier le judéo-christianisme - mais aussi l'islam, bien sûr -, puis démonter la théocratie, voilà trois chantiers inauguraux pour l'athéologie.
De quoi travailler ensuite à une nouvelle donne éthique et produire en Occident les conditions d'une véritable, morale post-chrétienne où le corps cesse d'être une punition, la terre une vallée de larmes, la vie une catastrophe, le plaisir un péché, les femmes une malédiction, intelligence une présomption, la volupté une damnation.
À quoi pourrait dès lors s'ajouter une politique moins fascinée par la pulsion de mort que par la pulsion de vie.
L'Autre ne s'y penserait pas comme un ennemi, un adversaire, une différence à supprimer, réduire et soumettre, mais comme la chance d'une intersubjectivité à construire ici et maintenant, non pas sous le regard de Dieu ou des dieux, mais sous celui des seuls protagonistes, dans l'immanence la plus radicale. De sorte que le Paradis fonctionne moins en fiction pour le Ciel qu'en idéal de la raison ici-bas.