Quand Joëlle sort, une certaine CNT éternue ![1]

 

"En 1982, avec un camarade d'AD, je suis arrêtée sortant d'un box où il y avait eu des armes. Je ne me revendique pas militant d'AD. En prison je continue ma réflexion. C'est une période marquée par la frilosité de l'extrême gauche française en général et par la vacuité du mouvement autonome français en particulier. L'offensive impérialiste déploie ses splendeurs: intervention israélienne au Liban, Thatcher aux Malouines, bombardements français sur la pleine de Beeka au Liban, Reagan attaque Grenade, mine les ports de Nicaragua,... La politique de rigueur du gouvernement français, dit de gauche, montre la soumission des sociaux-démocrates à la ligne mondiale dominante du néolibéralisme. Pendant ce temps, c'est la débandade de l'ex-mouvement révolutionnaire. Les uns ne pensent qu'à bondir sur le moindre strapontin que leur concède le pouvoir; les autres psalmodient leurs vieilles recettes qui laissent le prolétariat toujours aussi désarmé face aux attaques de la bourgeoisie. De l'utilité de la lutte armée, je passe à la nécessité de la stratégie que seule permet l'outil organisationnel d'une organisation de guérilla. Pour autant, quand je suis sortie (1984), j'ai d'abord milité de manière légale: soutien aux prisonniers de l'organisation, librairie militante, journal. Si ma décision était prise de rejoindre AD, je ne voulais pas non plus passer de la prison à la clandestinité. Aussi, c'est presque un an plus tard que, la répression s'aggravant, je suis rentrée dans la clandestinité."

"Parce que nous pensons que cette expérience révolutionnaire ne peut être dépassé que par une nouvelle expérience révolutionnaire, capable de prendre en compte, mieux qu'elles, les intérêts généraux de toute la classe, parce que nous savons à partir de quel patrimoine nous avons nous-mêmes expérimenté des voies nouvelles, parce que rien dans la réalité ne nous indique un changement de la donne, barbarie ou communisme, parce que jamais les "projets" d'un "capitalisme à visage humain" n'ont paru aussi vains, nous n'avons aucune raison de renoncer. Malgré les conditions, nous continuons à travailler politiquement, discutant par écrit avec d'autres prisonniers révolutionnaires, participant à une publication (Front), traduisant des textes de discussions ou actions, en particulier du mouvement révolutionnaire européen,..."

Joëlle Aubron, juillet 1996

 

Le soutien à Action Directe provoque des divergences au sein de la CNT et des syndicats[2]. Le soutien doit-il être "humanitaire" ou "politique".?

Pourquoi n'aurait-il pas les deux aspects ?

Soutien humanitaire, il fait appel à l'humain torturé dans les prisons, à sa défense quoiqu'il ait fait.

Un soutien humanitaire englobe n'importe quel détenu victime du système carcéral. Et, il n'y a pas que les "détenus politiques révolutionnaires" qui en sont victimes. Quelques députés visitent actuellement les prisons et ils dénoncent les conditions de détention. Non, ils ne dénoncent pas, ils constatent que la condition carcérale actuelle est inadmissible. La commission consultative des droits de l'homme rappelle dans un rapport que la prison "n'est que la privation d'aller et venir librement". Puis, elle constate que ce sont les droits élémentaires de tout homme qui sont bafoués par la prison et l'univers carcéral. Négation de l'hygiène, de l'intimité, du droit aux soins. Il faut rappeler qu'un détenu est avant tout un citoyen uniquement privé de sa liberté de déplacement. Pas de ses autres droits. Sauf décision judiciaire. Il a droit au travail, droit à l'éducation, droit au repos etc.

Le s actions des ERIS sont également dénoncées.

Il y a un combat à mener sur les prisons, reflet de notre société.

Soutien politique.

Pour moi, ça va se soi. Je ne mettrai pas tant d'énergie à essayer de sortir de l'univers carcéral un tueur d'enfants, un poseur de bombe à l'aveuglette..Je protesterai contre les conditions inhumaines de sa détention, au nom des idéaux humanitaires de la République. Et , de l'image de la République.

Mais, pour les détenus d'AD, c'est autre chose. Ils se revendiquent "détenus révolutionnaires". Ils luttent et ils ont lutté au prix de leur liberté, de leur vie pour un idéal. Cet idéal, c'est celui de la CNT. Un monde sans Le Capital, la lutte contre le néolibéralisme etc..

Soutenir politiquement AD, ce n'est pas cautionner les assassinats d'Audran et Besse.

Les assassinats de ces deux personnages posent le problème de la peine de mort, des méthodes d'action.

Le fait d'être syndiqués à la CNT montre par lui-même que nous ne sommes pas d'accord avec de telles méthodes d'action.

Mais, il s'agit d'une vieille histoire.

Pourquoi pouvons nous nous permettre de "juger" ce que d'autres ont cru bon de faire il y a vingt cinq ans ?

Que connaissons nous du contexte de l'époque ?

Pendant que nous y sommes, portons un jugement sur Robespierre et Saint-Just au moment de la Terreur , sur les violences de la Commune , sur les violences de la Résistance. Et , j'oublie les apaches et toutes les autres actions violentes.

"L'avenir dira qu'elle aura été notre contribution dans la longue marche du prolétariat vers son autonomie politique". "Comme beaucoup, dans l'histoire et dans notre génération, nous avons fait des choix qui engageaient notre vie entière. Nous n'en avons aucun regret".

Avant de dénoncer la violence volontairement employée contre quelques personnes, il faudrait peut-être rappeler la violence de l'état, violence impunie. Violences et massacres dans les pays colonisés (Madagascar, Sétif, Algérie, Tchad etc.), violences économiques (licenciements, maladies du travail non reconnues comme telles depuis la silicose jusqu'à l'amiante), violences politiques (délit de faciès, négation des droits, violences policières..)… Et, on chiffre le nombre de victimes.

Soutenir AD ne se résume pas au soutien aux prisonniers actuels.

La presse essaie de nous faire croire qu'AD, c'est quatre prisonniers. Elle oublie de rappeler qu'AD, c'est plus que quatre prisonniers. AD, dans les années 80, c'est un groupe activiste. Avec des antécédents comme Frédéric Oriach. AD s'inscrit dans une histoire. AD n'est pas sorti comme ça de la cuisse de Jupiter. Les prisonniers actuels sont l'écume d'un mouvement. Ils représentent un moment d'une lutte. Mais, ils n'étaient pas que quatre.

Soutenir AD, c'était il y a vingt cinq ans. L'époque était différente. Et, que savons nous de l'époque ?

AD, c'est un moment de l'histoire commencée en 1968.

Les groupes comme la GP ont une responsabilité historique pour la période 1968-1979.

Après 1968, il y eut deux voies.

La première parlait de défaite, la seconde de début.

C'est la seconde voie qui avait raison. Par des combats contre la légalité, par des combats mettant en contradiction légitime/illégal, cette voie ouvrit plusieurs portes : porte de la situation dans les prisons, porte du droit au logement, porte des droits des immigrés, porte de la santé, porte du droit à l'avortement, porte des conditions de travail.

L'ouverture de toutes ces portes ne se fit pas sans casse. Répression, violence, meurtre. Puis, la tentation de répliquer. Il fallait répliquer. Enlèvement de Nogrette, actions de représailles. Appel à la guerre de partisans. L'engrenage de la lutte armée était là. Tout nous poussait dans cette voie. Et, le fait d'être un groupe structuré, hiérarchisé, nous renforçait. "Pour apprendre à faire la guerre, il faut faire la guerre, pour apprendre les lois de la guerre de partisans, il faut mener la lutte violente".

En se dissolvant dans la nature pour éviter le passage à l'acte, la GP[3] laissait un terrain libre. Après ses appels à la guerre, à la résistance, elle disparaît en oubliant que ses appels avaient eu un impact. Sur ce terrain libre, une mouvance autonome se développe constituée d'anciens, nouveaux ou autres. C'est sur ce terreau qu'AD se développe.

AD, la lutte internationale

L'autre terreau, c'est la lutte internationale. Lutte contre le franquisme. N'oublions pas la violence du franquisme. Les garrottés, les luttes pour empêcher qu'ils le soient. C'étaient un soutien humanitaire et surtout politique. L'humanitaire pour réunir le plus de démocrates possible, le politique pour dire non au régime franquiste.

Lutte internationale. Le soutien politique à la RAF. Bader , Meinhof. C'est l'histoire de la Fraction Armée Rouge. RAF. Une lutte militaire contre le pouvoir, des attentats contre les bases américaines, le patron des patrons enlevé assassiné. Un procès. Une condamnation. Mais, un jour, Bader, Meinhof, Raspe, découverts morts dans leur cellule. Suicide. Ils se sont tirés un coup de révolver ou de pistolet dans le dos. Depuis, silence.

La perception actuelle d'AD oublie l'époque où le groupe s'est développé. Oublie l'histoire.

 * Jacques C.



[1] Le titre est de la rédaction.

[2] De Lille et environs. Et, plus précisément, chez certain(e)s  militant(e)s de la CNT de Lille et des environs. [NDLR]

[3] Gauche prolétarienne, mouvement maoïste [NDLR].


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