Sus aux croyants ![1]

 

Luis Carlos Fernández

 

La philosophie en tant que science n'a absolument rien à faire avec ce qui doit ou peut être cru ; mais seulement avec ce qu'on peut savoir. Si maintenant ce savoir devait être également tout autre chose que ce que l'on doit croire, ce ne serait pas un inconvénient pour la foi elle-même : elle est foi parce qu'elle enseigne ce que l'on ne peut savoir. Si l'on pouvait le savoir, la foi s'en trouverait inutile et ridicule, comme si en quelque sorte une doctrine de la foi était établie dans le domaine mathématique. Schopenhauer

 

Rien n'illustre mieux la progressive extinction des Lumières que notre mansuétude envers l'inquiétante vitalité de l'esprit religieux. Bien malin qui saurait dire comment et pourquoi la critique radicale de ce dernier en est venue à constituer l'ultime tabou sous des cieux où pratiquement tout le reste est permis. Mais c'est un fait que chacun peut aisément vérifier - quoiqu'à ses risques et périls. Car si un zeste d'anticléricalisme est sans doute encore de bon ton (au-delà, ça fait énergumène, bouffeur primaire de curé), énoncer, par exemple, que la croyance religieuse est une anomalie cognitive pluriséculaire (ce qui relèverait quasiment du truisme pour tout libre penseur), vous ferait partout clouer au pilori. D'où que l'on doive saluer le courage des rares qui osent dire ce genre de chose noir sur blanc. J'ignore ce que vaut le tout récent Traité d'athéologie du prolifique Michel Onfray. Mais j'ai lu avec intérêt, profit et grande stupéfaction parfois The End of Faith[2], premier titre du jeune philosophe américain Sam Harris.

Les fleurs d'abord. Dans une prose claire, directe, bien servie par le sens de la formule et teintée d'humour grinçant, Harris instruit le procès de la religion, dont il montre de façon convaincante le potentiel destructeur. Évitant le raccourci pamphlétaire, il livre un réquisitoire solidement documenté qui n'épargne aucun dogme, mais qui, pour des raisons dont la sanglante évidence ne peut plus être niée, réserve une place de choix à l'islam. Une charge d'autant mieux venue qu'elle fait apparaître les valeurs de "tolérance" et de "respect" en la matière pour ce qu'elles sont le plus souvent : les tristes oripeaux d'une raison "en exil".

C'est par souci d'exactitude, et nullement par goût de la provocation, que je viens de qualifier la croyance religieuse d'anomalie cognitive pluriséculaire. Car est-ce bien normal qu'une telle inclination (non moins aberrante du reste que la croyance au paranormal, et à tant d'autres idées du même acabit) soit encore si répandue dans un monde occidental dont l'évolution, depuis la Renaissance , doit tout à la rationalité scientifique ? La question ne se pose malheureusement pas pour le vaste monde arabo-musulman, dont on mesurera l'arriération culturelle au fait (cité par Harris) qu'il se traduit annuellement en Espagne autant de livres qu'il s'en est traduit dans l'ensemble des pays arabes depuis le IX e siècle ; un univers caractérisé, en outre, par l'absence quasi totale de démocratie et par un effarant degré de misogynie.

Prenons le cas de la foi chrétienne aux États-Unis. On sait que la population de la première puissance technoscientifique mondiale compte, en ce début du troisième millénaire, 35 % de croyants pour qui la Bible est le verbatim de la parole divine, et 48 % qui voient le texte biblique comme la transcription "inspirée" de celle-ci - contre un tout maigre 17 % d'agnostiques et d'athées. Comment expliquer cela ? Ici comme ailleurs, par la faillite de l'école primaire tout d'abord : n'oublions pas que la population étasunienne compte aussi 33 % d'adultes affligés d'illettrisme à divers degrés[3]. L'école n'est cependant pas seule en cause, puisque l'on trouve partout des théistes parmi les gens les plus instruits, y compris les savants, en particulier aux États-Unis, où leur nombre est assez imposant[4]. "Un scientifique qui croit en Dieu est un schizophrène", disait Jacques Monod. En effet, mais c'est déjà le cas de tout croyant très scolarisé, dont on pourrait difficilement comprendre la "schizophrénie" sans faire intervenir cet autre facteur : l'empreinte d'un milieu familial religieux. Car la foi, qui ne visite pas grand monde après la puberté, peut prendre aisément racine dans les jeunes esprits et y créer une enclave inexpugnable d'irrationalité. C'est pourquoi tous les clergés veulent si fort qu'on laisse venir à eux les tendres écoliers, comme le montre de façon exemplaire l'actualité québécoise, que l'on me permettra d'évoquer brièvement.

On se souviendra que l'État québécois n'entreprit la déconfessionnalisation de son réseau scolaire qu'en 2000, et qu'il n'hésita pas à déroger aux Chartes provinciale et fédérale de droits et libertés de la personne pendant les cinq années à venir pour permettre aux confessions catholique et protestante de poursuivre à l'école publique leur oeuvre d'endoctrinement. C'était, à la fois, une mesure grossièrement discriminatoire (puisque l'enceinte scolaire demeurait interdite aux cultes rivaux), une collusoire concession aux adversaires de la laïcité, et un moratoire honteux pendant lequel le ministère de l'Éducation était censé bâtir les cours "d'éthique et de culture religieuse" qui devaient supplanter l'enseignement doctrinal en 2005 ; des cours destinés, notons-le bien, à des gamins que l'école ne sait plus alphabétiser proprement et auxquels elle se montre, a fortiori, incapable d'apprendre à penser, mais qu'il serait néanmoins impératif d'abreuver de culturelles bondieuseries, en accordant une attention toute particulière - et extrêmement respectueuse - à celles qui ont façonné le Québec. En mai 2005, le ministère de cette drôle d'Éducation a fait savoir que ses fonctionnaires[5] - trop requis sans doute par la planification du crétinisme de masse à laquelle ils travaillent sans relâche depuis quatre décennies - n'ont pu mettre au point le nouveau cursus. On jouera donc de l'infâme clause dérogatoire pendant encore trois ans. Mais en 2008 - c'est apparemment coulé dans le béton légal - notre système scolaire sera enfin vraiment laïque. Il ne faut bien sûr rien en croire, pour deux raisons. Il s'agira d'une "laïcité à la québécoise", laquelle - explique Louis Rousseau, professeur du département des "sciences" religieuses de l'UQAM - "ne refoule pas la différence religieuse en dehors de l'espace public, comme le fait la tradition française" mais "en aménage la présence avec souplesse[6]."; on aura donc droit à une variante frelatée de la seule laïcité qui vaille, dont bien peu de nos concitoyens semblent vouloir. Et, plus décisivement, la nouvelle pédagogie acritique du "fait religieux" ne sera, quant à elle, qu'une cryptocathéchèse.

Ce que Dieu a de plus préoccupant, c'est qu'il y a en de multiples représentations, chacune s'affirmant comme la seule véritable et dictant un code de conduite qui rejette tous les autres dans les ténèbres de l'hérésie. La coexistence pacifique des credos est par conséquent une option sur laquelle l'Histoire enseigne qu'il n'est pas bien sage de parier gros. Harris rappelle à cet égard que les affrontements religieux dont la Palestine , les Balkans, l'Irlande du Nord, le Cachemire, le Soudan, le Nigeria, l'Éthiopie, l'Érythrée, le Sri Lanka, l'Indonésie et le Caucase sont le théâtre ont causé, pendant les dix dernières années seulement, des millions de morts. Il résume ainsi les tenants et aboutissants du phénomène :

Obligez à vivre ensemble, avec des ressources limitées, des gens qui entretiennent des idées invérifiables, divergentes et irréconciliables sur ce qui se passe après la mort. Il en résultera exactement ce que nous voyons : un cycle interminable de meurtres et de cessez-le-feu. S'il y a un enseignement historique que l'on puisse tenir pour absolument vrai, c'est bien que le désintérêt pour la preuve mène les hommes au pire. Ajoutez des armes de destruction massive à ce mécanisme infernal et vous aurez de quoi provoquer l'effondrement de la civilisation[i].

 

Il est vrai que seul l'intégrisme (le fondamentalisme) religieux peut conduire à de telles impasses, et qu'il serait donc injuste de pareillement honnir extrémistes et modérés. Mais peut-on absoudre ces derniers pour autant ? Harris estime qu'on ne le devrait surtout pas, car la modération est bien loin de constituer un rempart contre la violence meurtrière dont l'extrémisme est la source. L'idéal de tolérance qu'épousent les croyants modérés (et bon nombre d'agnostiques également) interdit toute critique conséquente du fondamentalisme, qui, dans cette perspective, est une façon non moins respectable que les autres d'exercer la liberté de croire. Le partisan de la tolérance en matière de foi religieuse ne saurait donc taxer de " fou " celui qui embrasse un dogme sans réserve - qu'est-ce au fond qu'un intégriste sinon un vrai croyant, quelqu'un qui tient pour absolument vrais l'esprit et la lettre du texte sacré ? Et il ne peut davantage crier à l'égarement théologique, puisque le fondamentaliste est un imbattable exégète. Au plan de la foi, le tolérant est un tiède qui répudie seulement les conséquences temporelles de l'extrême ferveur ; un double traître en somme : à la foi en quelque sorte parce que croyant frileux, et à la raison pleinement parce que croyant tout court. Cette délétère inhibition de l'esprit critique est particulièrement marquée au sein de la communauté musulmane. Commentant le dernier épisode de l'affaire française du voile islamique, Louis-Bernard Robitaille écrivait ceci :

[…] le problème spécifique à l'islam tient à ce fait fondamental que, pour l'instant, aucune autorité religieuse ou politique de la communauté ne peut ni ne veut assumer le risque de proclamer le droit absolu à la liberté de conscience, au pluralisme et même à l'athéisme. […] il est désormais difficile sinon impossible pour un Français d'origine musulmane ou classé comme musulman d'échapper à la loi dominante de la communauté et de se déclarer agnostique ou athée. Un Français d'origine algérienne ou marocaine aura même la plus grande difficulté, à sa mort, à se faire enterrer en dehors des cimetières musulmans. […] parmi les pratiquants assidus tenus pour " modérés ", à l'instar du recteur de la mosquée de Paris, centriste par excellence, presque tous considèrent que tout citoyen né en milieu musulman a des devoirs de respect ou de réserve en matière religieuse. Pour ne pas dire des devoirs de conformité. Et il faut constater que cette obligation est plutôt bien intériorisée par la quasi-totalité de la communauté. Demandez, juste pour voir, à des romanciers ou universitaires d'origine marocaine ou algérienne - à Tahar Ben Jelloun, par exemple, Prix Goncourt 1988 - de dénoncer sur la place publique les ingérences des autorités islamiques dans la vie quotidienne des musulmans, ou de proclamer le droit de chacun à l'agnosticisme, et vous verrez le résultat[7].

S'il en est ainsi en France, on comprend qu'il n'y ait point de contrée islamique où l'épithète " modéré " puisse honnêtement s'écrire sans guillemets ; aucune où, pour le dire autrement, le vocable " modération " ne soit, au mieux, synonyme d'autocensure au sens le plus orwellien du terme. A-t-on souvenir que des condamnations véhémentes du terrorisme islamiste aient été proférées publiquement par des musulmans pieux en terre d'islam, ou que des voix fortes se soient élevées parmi eux pour dénoncer la mise à prix des têtes mécréantes de Salman Rushdie et Taslima Nasreen - pour ne nommer que ces " fatwasés " bien connus ? Du côté des commentateurs occidentaux des attentats suicides qui ne cessent de défrayer la chronique, on constate une tendance à s'attarder aux motifs sociopolitiques de ces opérations et à en effleurer (ou à carrément passer sous silence) le carburant religieux, sans lequel, pourtant, le geste d'auto-immolation est rigoureusement incompréhensible.

La montée du fanatisme religieux oblige à se demander si le monde n'aurait échappé à l'angoisse de la guerre froide que pour tomber dans la hantise d'une guerre sainte chauffée à blanc par la technologie nucléaire, dont on sait la croissante accessibilité. On comprendra qu'ayant saisi la situation dans toute son inextricable gravité, Harris ne trouve pas extrêmement probable le sursaut de lucidité dont nous devrions être capables pour sérieusement oeuvrer à en sortir.

***

Si notre philosophe s'en était tenu au renouvellement de l'argumentaire antireligieux en documentant les ravages actuels de la foi, son entreprise - combien salutaire - aurait déjà largement mérité de voir le jour. Mais il a, hélas, donné à celle-ci une portée réflexive plus ambitieuse qui nous vaut quelques moments de grande perplexité ; ce sont, notamment : la critique bancale de la " déraison gauchiste " dont Noam Chomsky serait la parfaite incarnation ; l'usage inutile et inconséquent des termes " mysticisme " et " spiritualité " ; d'étranges conclusions que l'auteur croit pouvoir tirer des neurosciences, domaine où il fait un doctorat.

L'auteur de The End of Faith ne montre aucune complaisance envers les politiques intérieure et extérieure de son pays, où la très puissante droite religieuse ferait régner une atmosphère de théocratie. Mais s'il estime comme Chomsky que les États-Unis font des choses abominables, il rejette, contrairement à ce dernier, l'idée d'une quelconque équivalence morale entre des gestes tels que les sanctions économiques imposées à l'Irak (ayant entraîné la mort d'un demi-million d'enfants - une conséquence fâcheuse, mais acceptable, dixit la Secrétaire d'État Madeleine Albright) ou la destruction de l'usine pharmaceutique soudanaise de Shifa (qui, indirectement, provoqua des décès par dizaines de milliers), d'une part, et les attaques terroristes du 11 septembre d'horrible mémoire (qui fauchèrent quelque trois mille vies) d'autre part. Car, quoique ces différentes victimes soient toutes innocentes, ce serait faire preuve de cécité morale que de réprouver uniquement les actions qui les ont causées sans tenir compte des intentions. Harris trouve inconcevable que l'on puisse mettre dans le même panier l'attentat qui cherche à faire un maximum de victimes civiles et l'intervention militaire qui s'efforce d'en limiter le nombre ; celles que cette dernière ferait malgré tout entrent dans la catégorie du " dommage collatéral ", une éventualité dont la vie en temps de paix, note-t-il, comporte de nombreux exemples que nul ne songerait à tenir pour des actes criminels :

Chomsky pourrait objecter que mettre sciemment en péril la vie d'un enfant n'est acceptable en aucun cas, mais, de toute évidence, ceci est un principe qu'on ne peut suivre. Les fabricants de montagnes russes, par exemple, savent que, malgré toutes les précautions qu'on puisse prendre, un jour, quelque part, un enfant sera tué par l'un de leurs engins. Les fabricants de voitures le savent aussi, de même que les fabricants de bâtons de hockey, de battes de base-ball, de sacs de plastic, de piscines, de clôtures ou de quoi que ce soit qui puisse le moindrement contribuer au décès d'un enfant. Ce n'est pas pour rien que nous n'appelons pas " atrocités sportives " les inévitables morts enfantines sur nos pentes de ski. Mais vous ne vous en douteriez pas en lisant Chomsky, pour qui l'intention ne semble pas compter : seul le nombre de victimes importe[ii].

 

Peut-on assimiler les conséquences malheureuses d'activités récréatives - dont chacun assume librement les risques - à des dommages collatéraux ? Dans le paragraphe qui précède l'extrait ci-dessus, Harris donne cet exemple de dommage collatéral : tuer par mégarde un enfant en essayant d'appréhender ou d'abattre son kidnappeur ; mais l'opération policière dont on ne peut exclure qu'elle puisse mal tourner est-elle vraiment du même ordre que le raid aérien dont on sait qu'il " endommagera collatéralement " un certain nombre de civils ? Quelles " intentions " notre liberal democrat prête-t-il au pouvoir étatique étasunien ? Le fougueux philosophe ne mentionne les létales punitions économiques infligées à l'Irak que pour mieux s'abstenir de les commenter ; et pour cause : la sidérante déclaration d'Albright montre assez le gabarit moral de l'administration Clinton, laquelle ne pouvait ignorer non plus que la destruction de l'usine de Shifa (soupçonnée à tort de servir à la fabrication d'armes biologiques) priverait mortellement la population soudanaise de médicaments essentiels.

Le dossier religieux ne serait pas entièrement noir. La foi console, unit, apporte calme et sérénité, paraît-il ; elle serait donc tuante au propre et vivifiante au figuré. Peut-être, mais il n'y pas un seul de ses bienfaits qu'un humanisme strictement laïque et rationnel ne puisse dispenser. Selon Harris - qui s'y adonne - , la pratique de la méditation répondrait pleinement à nos aspirations mystiques et comblerait avantageusement nos besoins spirituels. C'est bien possible, mais pourquoi diable utiliser des épithètes aussi douteux quand on est un agnostique militant ?

Le terme "spiritualité" semble s'imposer ici - je m'en suis déjà servi à plusieurs reprises - mais il a des connotations franchement gênantes. "Mysticisme" a sans doute plus de poids, mais il n'est pas exempt non plus de résonances malencontreuses. […] J'utiliserai indifféremment "spiritualité" et "mysticisme", car il n'y a pas d'autres options, mais le lecteur doit garder à l'esprit que j'en use au sens étroit[iii].

 

Pas de choix terminologique ? Mais si, et l'auteur l'offre lui-même quatre pages plus loin :

L'exploration directe de la conscience par introspection prolongée n'est qu'une autre façon de désigner la pratique spirituelle[iv].

 

Va donc pour introspection, méditation, exploration affective, qui disent simplement et sans reste ce que font au juste les gens qui cultivent leur " spiritualité ".

Puisque ma prochaine contribution sera entièrement consacrée aux bévues conceptuelles qui parasitent la littérature neuroscientifique, je me contenterai d'un mot sur celles que contient The End of Faith. Comme la quasi totalité des auteurs, philosophes ou savants, Harris donne dans la personnification outrée de la matière grise :

Le cerveau humain est un prolifique générateur de croyances au sujet du monde. En fait, le caractère proprement humain de tout cerveau d'homme réside largement dans son aptitude à évaluer de nouveaux énoncés de vérité propositionnelle à la lumière de ceux, innombrables, qu'il accepte déjà. […] Ce n'est pas tant par ce qu'ils sont que par ce qu'ils font que les neurones voient, entendent, flairent, goûtent, touchent, pensent et ressentent[v].

 

C'est qu'il est impossible d'ouvrir un quelconque ouvrage du vaste rayon neurosciences sans se croire aussitôt transporté au Pays des merveilles, où même de minuscules neurones font absolument tout ce que dans le monde plat du lecteur sensé ne peut être accompli que par leurs propriétaires. (Ce serait charitable mais faux de conclure qu'il s'agit là seulement d'une curieuse façon de parler). Outre cela, on se heurte à des réflexions sur le problème de la conscience d'un spiritualisme bien déroutant :

La plupart des scientifiques se déclarent physicalistes ; ceci veut dire entre autres qu'ils croient que la vie mentale et spirituelle est entièrement dépendante du fonctionnement du cerveau. De sorte que, lorsque le cerveau meurt, on cesse d'être. Rien ne survivrait à l'extinction des feux de notre activité cérébrale. Beaucoup de scientifiques véhiculent, en effet, cette conviction comme s'il s'agissait d'un sacrement particulier susceptible de rendre intellectuellement intègre quiconque - homme, femme ou enfant - a le courage de l'adopter. […] Mais la vérité est que nous ne savons tout simplement ce qui arrive après la mort[vi].

 

Mais enfin, l'observation du moindre trépas ne donne-t-elle pas sérieusement à penser que lorsque les batteries neuronales d'un vivant s'épuisent, il ne reste de ce dernier que le cadavre - qui, laissé à lui-même, ne tardera pas à disparaître à son tour ? Bien sûr, nous ne savons pas que la conscience immortelle (moderne avatar de l'âme), Dieu ou les centaures albinos n'existent pas, puisque l'inexistence de ce genre d'entité ne peut-être démontrée. Mais céder au charme de l'indémontrable n'est-ce pas un signe patent de crédulité ?

Harris s'égare donc à mes yeux ici et là, mais c'est sans conséquence pour ce que son ouvrage me semble rappeler avec force, et que j'énoncerais ainsi : croire n'est pas supposer[8] ; entre la conjecture et l'acte de foi, il y a un insondable abîme au fond duquel gît la raison.


Lectures :

 

- Les nouveaux rédempteurs. Le fondamentalisme protestant aux Etats-Unis Mokhtar Ben Barka

- L'Amérique entre la Bible et Darwin. Dominique Lecourt

- Les créationnistes. Jacques Arnould

- Science et religion. Bertrand Russell

- L'invention du Christ. Maurice Sachot

- Jésus contre Jésus. G Mordillat, J Prieur

- Dieu face à la science. Claude Allègre

- Le Seigneur des tribus. L'Islam de Mahomet. Jacqueline Chabbi

- Traité d'athéologie. Michel Onfray

- Traité des trois imposteurs : Moise, Jésus, Mahomet. Collectif

- Les 12 preuves de l'inexistence de Dieu. Sébastien Faure

- Cours accéléré d'athéisme. Antonio Lopez Campillo, Juan Ignacio Ferreras

 

 



[1] Source : http://charlatans.free.fr/sus-aux-croyants.shtml

(Paru dans Liberté, n° 269, septembre 2005, p. 171-181)

[2] Sous-intitulé : Religion, Terror, and the Future of Reason (New York : Norton, 2004). A lire aussi, toutes affaires cessantes, l'excellent dossier " Qu'est-ce que croire ? ", Agone, nº 23, 2000.

[3] Voir H. Jordon, " Literacy of 90 Million is Deficient ", Washington Post, sept. 9, 1993. p. A1, A15 . Puisque l'illettrisme et la bigoterie s'épanouissent au pays de l'oncle Sam, on ne sera pas surpris d'apprendre que la plupart de ses habitants ne lisent même pas une œuvre littéraire par an, mais que la consommation d'écrits chrétiens évangéliques, en revanche, y atteint des sommets (" SOS lecture aux États-Unis ", Le Monde des livres, 25 février 2005, II).

[4] Mais infime chez les grands scientifiques ( cf. Edward J. Larson et Larry Witham, Leading scientists still reject God, Nature 394, 313, 23 July 1998 ).

[5] Pour une critique récente des œuvres de cette nuisible bureaucratie, voir Normand Baillargeon, "L'Ordre du Temple Scolaire ", Le Couac, avril 2005, p. 1.

[6] "Le retour de l'école ethnique ou le clientélisme d'État", Le Devoir, 18 janvier 2005, p. A7

[7] "L'énigme du voile islamique", La Presse , lundi 25 octobre 2004, p. A 16

[8] N'en déplaise aux auteurs de "L'hypothèse Dieu", dossier que Liberté faisait paraître il y a vingt ans. Qui, en effet, pourrait émettre une telle hypothèse ? Pas le croyant, par définition, et pas davantage l'athée ou l'agnostique conséquent !



[i] Ma traduction - Give people divergent, irreconcilable, and untestable notions about what happens after death, and then oblige them to live together with limited resources. The result is just what we see : an unending cycle of murder and cease-fire. If history reveals any categorical truth, it is that an insufficient taste for evidence regularly brings out the worst in us. Add weapons of mass destruction to this diabolical clockwork, and you have found a recipe for the fall of civilization.

[ii] Ma traduction - Chomsky might object that to knowingly place the life of a child in jeopardy is unacceptable in any case, but clearly this is not a principle we can follow. The makers of roller coasters know, for instance, that despite rigorous safety precautions, sometime, somewhere, a child will be killed by one of their contraptions. Makers of automobiles know this as well. So do makers of hockey sticks, baseball bats, plastic bags, swimming pools, chain-link fences, or nearly anything else that could conceivably contribute to the death of a child. There is a reason we do not refer to the inevitable deaths of children on our ski slopes as "skiing atrocities." But you would not know this from reading Chomsky. For him, intentions do not seem to matter. Body count is all.

[iii] Ma traduction - The term "spirituality" seems unavoidable here - and I have used it several times in this book already - but it has many connotations that are, frankly, embarrassing. "Mysticism" has more gravitas, perhaps, but it has unfortunate associations of its own. […] I will use both "spirituality" and "mysticism" interchangeably here, because there are no alternatives, but the reader should remember that I am using them in a restricted sense.

[iv] Ma traduction - Investigating the nature of consciousness directly, through sustained introspection, is simple another name for spiritual practice.

[v] Ma traduction - The human brain is a prolific generator of beliefs about the world. In fact, the very humanness of any brain consists largely in its capacity to evaluate new statements of propositional truth in light of innumerable others that it already accepts.[…] It is not so much what they are but what they do that makes neurons see, hear, smell, taste, touch, think, and feel.

[vi] Ma traduction - Most scientists consider themselves physicalists ; this means, among other things, that they believe that our mental and spiritual lives are wholly dependent upon the workings of our brains. On this account, when the brain dies, the stream of our being must come to an end. Once the lamps of neural activity have been extinguished, there will be nothing left to survive. Indeed, many scientists purvey this conviction as though it were itself a special sacrament, conferring intellectual integrity upon any man, woman, or child who is man enough to swallow it. […] But the truth is that we simple do not know what happens after death.


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