Petit kaléidoscope de l'anarchisme

 

Ils ont un drapeau noir
En berne sur l'Espoir
Et la mélancolie
Pour traîner dans la vie
Des couteaux pour trancher
Le pain de l'Amitié
Et des armes rouillées
Pour ne pas oublier
Qu'y'en a pas un sur cent et qu' pourtant ils existent
Et qu'ils se tiennent bien bras dessus bras dessous
Joyeux et c'est pour ça qu'ils sont toujours debout
Les anarchistes

(Léo Ferré, Les anarchistes)

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Troisième partie : Quelques pages d'histoire

La Commune de Paris[1]

La Commune de Paris de 1871 est un événement singulier. Par certains aspects, elle se rattache aux révolutions du XIXème siècle : 1830, 1848. Par d’autres, au contraire, elle annonce les grandes révolutions victorieuses du XXème siècle, qui d’ailleurs s’en réclament explicitement. Marx[2], opposé tout d’abord à une révolte armée des ouvriers de Paris, se rallia, après la journée du 18 mars, à la Commune. Dans La Guerre civile en France, il tira les premières conclusions de ce mouvement insurrectionnel de type nouveau : "C’était la première révolution dans laquelle la classe ouvrière était ouvertement reconnue comme la seule qui fût encore capable d’initiative sociale, même par la grande masse de la classe moyenne de Paris, boutiquiers, commerçants, négociants – les riches capitalistes étant seuls exceptés. [...] La grande mesure sociale de la Commune, ce furent sa propre existence et son action. Ses mesures particulières ne pouvaient qu’indiquer la tendance d’un gouvernement du peuple par le peuple".

Lénine, parlant des événements de 1917 en Russie, rapprochait les soviets de l’organisation de la Commune de Paris[3] : la source du pouvoir n’est plus dans des lois préparées par un Parlement, "mais dans l’initiative venant d’en bas", des masses populaires. La police et l’armée sont remplacées par l’armement direct du peuple tout entier. Les fonctionnaires sont également remplacés par le pouvoir du peuple, ou placés sous son contrôle et révocables par lui. À la suite de Marx et de Lénine, Mao Zedong et Fidel Castro se sont ralliés à ces analyses de la Commune et en ont tiré les principes de leur action révolutionnaire. Mais on appela souvent "gouvernement du peuple" la dictature d’un parti. Et l’on vit une nouvelle bureaucratie, émanant d’un parti et non du peuple, remplacer, au nom du centralisme démocratique, l’ancien pouvoir bourgeois. Cependant, la Commune de Paris a apporté au mouvement ouvrier, en même temps qu’une expérience historique concrète, la valeur explosive du mythe.

  1. Origines et naissance de la Commune

La guerre déclarée à la Prusse par Napoléon III, en juillet 1870, avait accumulé, en France, les désastres militaires. Le 4 septembre, sous la poussée populaire, la République est proclamée. Un gouvernement – auquel participent le général Trochu, président, Jules Favre et Jules Ferry – est chargé, en principe, de continuer la guerre. Le peuple de Paris, assiégé par les Allemands à partir du 19 septembre, supporte avec un courage exemplaire le froid, la faim et les bombardements. Mais il s’avère bientôt que le gouvernement dit de Défense nationale n’est nullement décidé à la lutte, tandis que le peuple de Paris réclame la guerre à outrance. 380 000 hommes constituent la garde nationale, groupée dans ses conseils de famille et dirigée par le Comité central.

Dans chaque arrondissement se sont constitués, pendant le siège, des comités de vigilance. De son côté, le Comité central républicain des vingt arrondissements, composé de délégués ouvriers, dont beaucoup appartiennent à l’Internationale, siège depuis le 5 septembre rue de la Corderie. Deux pouvoirs commencent à s’opposer : celui de l’État bourgeois, représenté par le gouvernement du 4 septembre ; celui du peuple, encore vague et incontrôlé.

Les souvenirs de la révolution de 1848, que la bourgeoisie avait accaparée à son profit et qui s’était terminée en juin par le massacre des ouvriers de Paris, sont encore vivants et subsistent, malgré les mesures de coercition prises par le second Empire. Mais, en 1860, l’Empire est obligé de modifier sa politique et d’adopter une position plus libérale. Il laisse des ouvriers français se rendre en délégation à l’Exposition universelle de Londres. Ils y découvrent une classe ouvrière mieux organisée et mieux rémunérée, et réclament, à leur retour, la création de chambres syndicales et le droit de grève. Celui-ci leur est accordé, avec des restrictions, en 1864. La même année paraît, à l’occasion d’élections complémentaires, le Manifeste des soixante, texte capital d’inspiration nettement socialiste, où les rédacteurs dénoncent l’hypocrisie de l’égalité telle que l’a formulée la Révolution de 1789 et demandent une véritable démocratie politique, économique et sociale. Enfin s'est constituée, à Londres, l’Association internationale des travailleurs, dont l’adresse inaugurale a été rédigée par Karl Marx alors même que Proudhon et l'anarchismey exerçaient une influence prépondérante. La section française s'est formée sur l’initiative unique d’ouvriers proudhoniens. À ces courants s’ajoute l’influence de Blanqui, qui a passé une grande partie de sa vie en prison et qui, reprenant la tradition de 1793, pense que la révolution peut être accomplie par de petits groupes organisés en sociétés secrètes prônant l’action violente. Ces diverses tendances vont s’affirmer dans l’action des femmes et des hommes de la Commune.

Le 31 octobre, jour où le peuple de Paris apprend l’échec de la sortie du Bourget, la capitulation de Metz et les négociations de paix, les gardes nationaux, à l’instigation des comités de vigilance, demandent la déchéance du gouvernement du 4 septembre aux cris de "Vive la Commune !". Le 7 janvier, L’Affiche rouge, rédigée en partie par Jules Vallès au nom du Comité des vingt arrondissements, réclame une attaque en masse, la réquisition générale, le rationnement gratuit et, enfin,… le gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple.

Après l’inutile et sanglante sortie de Buzenval, le général Trochu est remplacé par le général Vinoy. Jules Favre va négocier avec Bismarck. Mais, le 22 janvier, les gardes nationaux réclament, devant l’Hôtel de Ville, la guerre à outrance : les mobiles bretons tirent sur la foule. Les clubs, où depuis le siège s’est formé l’esprit révolutionnaire, ainsi que les journaux républicains sont supprimés. De nombreuses arrestations sont effectuées. Le 29 janvier, on apprend la conclusion d’un armistice qui doit permettre l’élection d’une assemblée nationale. Les conditions en sont draconiennes : désarmement de l’enceinte fortifiée de Paris[4], occupation des forts, paiement de deux cents millions en quinze jours. La province, qui, elle, veut dans son ensemble la paix à tout prix, élit une assemblée réactionnaire, tandis qu’à Paris la délégation des vingt arrondissements, l’Association internationale des travailleurs et la Chambre fédérale des sociétés ouvrières présentent des candidats, dont le programme est nettement socialiste et révolutionnaire : ils veulent une république qui donnerait aux ouvriers leurs instruments de travail, comme celle de 1789 remit la terre aux paysans, une république qui réaliserait à la fois la liberté politique et l’égalité sociale. Paris élit des bourgeois démocrates comme Victor Hugo ou Edgar Quinet, des jacobins comme Delescluze, des représentants comme Pyat, Malon, Gambon et Tolain.

Soutenu par cette Assemblée en majeure partie composée de ruraux, le chef du pouvoir exécutif, Thiers, symbole même de la bourgeoisie, a les mains libres pour traiter avec l’Allemagne. La France devra payer un tribut de cinq milliards, abandonner l’Alsace, moins Belfort, et le tiers de la Lorraine. Le 1er mars, l’Assemblée ratifie le traité, malgré la protestation désespérée des députés alsaciens et lorrains.

Délivrée de la guerre extérieure, l’Assemblée des ruraux, des hobereaux et des notables que la province a élus n’a plus devant elle que ces ouvriers, ces artisans, ces petits-bourgeois de Paris, à la fois socialistes, républicains et patriotes, qu’il faut mater. Des mesures sont prises immédiatement contre la population parisienne exténuée par les souffrances du siège : la suppression des trente sous accordés aux gardes nationaux ainsi que celle des moratoires concernant les loyers et les effets de commerce touchent à la fois les ouvriers, les artisans et le petit commerce. De plus, l’entrée des Prussiens dans Paris, prévue pour le 27 février, apparaît aux Parisiens comme un déshonneur. La foule manifeste et ramène les canons, payés par les souscriptions de la population parisienne, vers les hauts lieux populaires de la capitale : Montmartre, les Buttes-Chaumont, Belleville. Ces canons, ni les Prussiens ni M. Thiers ne les prendront.

Les Allemands n’entrent que le 1er mars dans les beaux quartiers et en sortent le 2. Mais les mesures contre Paris continuent. Des journaux sont suspendus. Flourens et Blanqui sont condamnés à mort par contumace, pour avoir participé à la journée du 31 octobre, tandis que Jules Vallès est mis en prison pour six mois. Thiers et le général d’Aurelles de Paladine adressent deux proclamations aux habitants de Paris. Ils les mettent en garde contre les agissements d’un "Comité occulte" (le Comité central de la garde nationale), font appel aux sentiments des "bons citoyens" contre les "mauvais", fauteurs de désordre, et terminent par une menace non déguisée de recourir à la force si les circonstances l’exigent. Cet avertissement ne sera pas entendu.

Dans la nuit du 17 au 18 mars, les troupes du général Vinoy reçoivent l’ordre de reprendre les canons des Parisiens. Mais on avait oublié les chevaux ; et les ménagères ont eu le temps de donner l’alerte. Le comité de vigilance du XVIIIème arrondissement, que dirigent Ferré et Louise Michel, monte à l’assaut de la butte Montmartre. Et l’on voit alors d’étonnantes manifestations : femmes, enfants, gardes fédérés entourent les soldats, qui fraternisent avec la foule joyeuse et pacifique. Cependant, le soir, deux généraux, le général Lecomte qui le matin avait donné, sans être obéi, l’ordre de tirer sur les Parisiens, et le général Clément Thomas, qui avait, en juin 1848, décimé les insurgés, sont fusillés, rue des Rosiers.

  1. La Commune, gouvernement de Paris

Devant cette extraordinaire impuissance du pouvoir, Thiers se réfugie à Versailles, et donne aux troupes l’ordre d’abandonner Paris[5]. Étrange victoire remportée sans violence (exception faite de l’exécution des deux généraux), sans combat, et par une foule anonyme. Nulle organisation ne l’a préparée, ni le Comité central de la garde nationale, ni le Comité des vingt arrondissements, ni les comités de vigilance des quartiers, ni l’Internationale ; mais des hommes issus de ces différents mouvements, poussés par la foule anonyme, ont pris des initiatives individuelles et incoordonnées.

Le 19 au soir, des hommes inconnus la veille, mais mandatés par le Comité central de la garde nationale, siègent à l’Hôtel de Ville. Qui sont-ils ? Que veulent-ils ? S’agit-il d’un gouvernement révolutionnaire ? À ces questions que se posent les Parisiens, le Comité central répond immédiatement par deux proclamations. Dans l’une, il remercie l’armée de n’avoir pas voulu "porter la main sur l’arche sainte de nos libertés" et appelle Paris et la France à "jeter ensemble les bases d’une république acclamée avec toutes ses conséquences, le seul gouvernement qui fermera pour toujours l’ère des invasions et des guerres civiles". En conséquence, le Comité central appelle le peuple de Paris à de nouvelles élections. Un appel comparable est adressé aux gardes nationaux. Bien qu’il décide "de conserver, au nom du peuple", l’Hôtel de Ville, le Comité central ne se considère donc pas comme un gouvernement révolutionnaire, mais comme l’agent qui va permettre au peuple d’affirmer sa volonté par de nouvelles élections. Il fixe ces élections au 22 mars, et, en même temps, assume le gouvernement de Paris ; il lève l’état de siège, rétablit la liberté de la presse, abolit les conseils de guerre, accorde l’amnistie à tous les condamnés politiques et assure leur libération. Enfin, il envoie des représentants dans les différents ministères abandonnés par leurs titulaires, qui ont suivi Thiers à Versailles. Par ces mesures, le Comité central agit comme un gouvernement, le gouvernement de Paris, face à celui de Versailles. Mais, ennemi de la guerre civile, il ne prend pas d’initiatives militaires ; il ne s’attaque pas non plus aux puissances d’argent : il emprunte, pour faire face aux dépenses de Paris, cinq cent mille francs à M. de Rothschild et un million à la Banque de France.

Les maires de Paris et l’Assemblée nationale, dès sa première séance, condamnent ce gouvernement de factieux. Diverses tractations ont lieu sans aboutir : il ne peut y avoir de conciliation entre le peuple et la bourgeoisie. Le Comité central a, en effet, précisé son programme (23 mars). Il constate d’abord la faillite d’un pouvoir qui a mené la France à la défaite et à la capitulation : "Le principe d’autorité est désormais impuissant pour rétablir l’ordre dans la rue, pour faire renaître le travail dans l’atelier, et cette impuissance est sa négation". Il faut donc retrouver un ordre et réorganiser le travail sur de nouvelles bases "qui feront cesser l’antagonisme des classes et assureront l’égalité sociale". L’émancipation des travailleurs et la délégation communale doivent assurer le contrôle efficace des mandataires du peuple chargés par lui des réformes sociales. Ces réformes sociales sont : l’organisation du crédit, de l’échange et de l’association, afin d’assurer au travailleur la valeur intégrale de son travail, c’est-à-dire la disparition du profit capitaliste ; l’instruction gratuite, laïque et "intégrale" ; les libertés des citoyens (réunion, association, presse) ; l’organisation sur le plan communal de la police et de l’armée. Le principe qui doit gouverner la société tout entière, c’est celui qui organise le groupe et l’association. Il y a donc refus de toute autorité imposée du dehors, que ce soit celle d’un administrateur, d’un maire ou d’un préfet, et contrôle permanent de tous les élus.

Le 25 mars, le Comité central appelle la population parisienne à choisir ses représentants : "Les hommes qui vous suivront le mieux sont ceux que vous choisirez parmi vous, vivant de votre vie, souffrant des mêmes maux." Puis, considérant sa mission comme terminée, il se déclare décidé à céder la place aux nouveaux élus. À quoi le gouvernement de Versailles répond en appelant la population parisienne à se grouper autour de son Assemblée, contre les "criminels", les "insensés" qui déshonorent Paris. Malgré ces adjurations, 229 000 Parisiens sur 485 000 inscrits se rendent aux urnes, le 26 mars, la différence entre ces deux chiffres s’expliquant par la diminution de la population parisienne par suite de la guerre, du siège, des départs en province et à Versailles. La participation électorale est plus forte dans les quartiers ouvriers que dans les "beaux quartiers" de l’ouest de Paris. Le 28 mars, à l’Hôtel de Ville, les membres du Comité central remettent leur pouvoir à la Commune, puis l’on proclame la liste des élus[6].

  1. Les communard(e)s

Ces femmes et ces hommes qui composent la Commune sont d’origines diverses. On y trouve des bourgeois riches : ils s’élimineront d’eux-mêmes, en donnant leur démission, et seront remplacés lors des élections complémentaires du 16 avril ; puis les élus issus de la petite et moyenne bourgeoisie : employés, instituteurs, médecins, journalistes, qui avaient déjà milité sous le second Empire dans les rangs du Parti républicain, et qui constituent la majorité de la Commune ; enfin, on dénombre vingt-cinq ouvriers – chiffre inhabituel pour l’époque dans une assemblée élue –, affiliés souvent à l’Internationale, venant du Comité central, et qui se retrouvent généralement unis dans la minorité. Plusieurs tendances en effet s’expriment : la majorité groupe des blanquistes se réclamant du vieux prisonnier, qu’on cherchera par la suite à échanger contre l’archevêque de Paris, Mgr Darboy ; des jacobins, qui ont fait la révolution de 1848, et ont gardé le souvenir de la Révolution de 1789 (Delescluze incarne ce type de républicain) ; des radicaux comme Vallès et Vermorel, qui, partisans d’une république démocratique et sociale, ne décèlent pas nettement les transformations économiques nécessaires qu’elle implique… Du côté de la minorité, les ouvriers ne forment pas un bloc idéologique plus uni : artisans, d’ailleurs, plus qu’ouvriers de la grande industrie, ils appartiennent le plus souvent au courant proudhonien de l’Internationale (Frankel, lui, est en relation personnelle avec Karl Marx). Mais par leur origine, leur passé de militants dans l’Internationale et les chambres syndicales, les élus formant la minorité de la Commune s’intéressent davantage aux questions sociales qu’aux problèmes politiques: c’est pourquoi on a pu les appeler des "socialistes révolutionnaires".

Mais nulle trace de partis, d’organisations structurées dans tout cela : s’il arrive à des membres de la minorité de voter avec la majorité, l’inverse se produit plus souvent encore. Parmi ces hommes, il y a des personnalités de premier plan : le peintre Courbet, l’écrivain Jules Vallès, le savant Gustave Flourens ; d’admirables figures d’ouvriers, comme Varlin ou Benoît Malon ; de vieux républicains, comme Delescluze qui mourut en héros sur les barricades ; mais aussi des rhéteurs vaniteux et sans scrupules, comme Félix Pyat, qu’on a pu appeler "le mauvais génie de la Commune", des imbéciles comme Allix ou Babick. Tous se trouvèrent brusquement confrontés avec des événements difficiles à vivre et à surmonter, et pour lesquels ils n’étaient nullement préparés.

Ce ne sont pas seulement ces femmes et ces hommes qui sont au pouvoir, mais le peuple de Paris tout entier à travers les sections de l’Internationale, les chambres syndicales, les coopératives, les comités d’arrondissement coiffés du Comité central républicain, et les clubs. Ces derniers, qui existaient déjà pendant le siège, se sont multipliés et l’on y discute des problèmes immédiats d’organisation et de défense, mais aussi de questions plus générales : la femme dans la société, les relations du capital et du travail, etc. D’autre part, les femmes ne restent pas inactives : groupées dans l’Union des femmes pour la défense de Paris et les secours aux blessés, fondée par une amie de Marx, Elizabeth Dmitrieff, on les voit aussi dans les comités de vigilance, dans les clubs, et, comme cantinières, ambulancières ou soldats, jusque sur les remparts. Enfin, le Comité central de la garde nationale, qui malgré ses déclarations n’a nullement abdiqué, continue à tenir ses séances et à prétendre diriger la lutte. Il crée ainsi, à côté de la Commune, un second pouvoir, facteur de dysfonctionnements.

  1. Une société nouvelle

Dès le 29 mars, la Commune décide de former dix commissions correspondant aux différents ministères que le Comité central avait pris en main, à l’exception de celui des Cultes qui est supprimé. Le 19 avril, dans une déclaration, elle explique ses buts au peuple français : reconnaissance et consolidation de la République, une république non plus centralisée, mais qui serait le résultat de la fédération de toutes les communes de France. Suit l’énumération des droits de la commune : vote du budget communal, organisation de la magistrature, de la police, de l’enseignement, recrutement de tous les fonctionnaires par élection ou concours, administration des biens appartenant à la commune, garantie absolue de la liberté individuelle, de la liberté du commerce, de la liberté du travail, intervention permanente des citoyens dans les affaires de la commune, organisation de la garde nationale par l’élection des chefs, mandat impératif et révocable… La Commune de Paris se défend de vouloir, comme l’en accuse le gouvernement de Versailles, imposer sa dictature aux autres communes de France, ou poursuivre la destruction du pays. Elle refuse, au contraire, la centralisation "despotique, inintelligente, arbitraire ou onéreuse" qui a été imposée à la France par la monarchie, l’Empire et la république parlementaire : "Nous avons la mission d’accomplir la révolution moderne la plus large et la plus féconde de toutes celles qui ont illuminé l’histoire".

Ce texte essentiel éclaire l’œuvre que la Commune va essayer de réaliser, sans plan ni méthode, dans une suite d’improvisations et dans un délai très court. Il s’agissait, en fait, de détruire la société et le gouvernement traditionnels et de les remplacer par une société totalement nouvelle visant non plus au gouvernement des hommes, mais à l’administration des choses par les hommes eux-mêmes. Ce projet de décentralisation aurait sans nulle doute pu recevoir l’appui d’une partie de la province s’il y avait été connu. La Commune essaya bien d’envoyer des émissaires dans les départements et de lancer un appel aux paysans. Des villes comme Lyon et Saint-Étienne avaient connu des soulèvements dès le mois de septembre ; le 18 mars avait eu quelque retentissement à Marseille, à Narbonne, à Toulouse, à Grenoble, à Limoges. Mais la situation avait été rapidement reprise en main par le gouvernement. Intoxiquée par la propagande versaillaise, la province, dans son ensemble, resta hostile à Paris.

La Commune remet en marche les services publics, désorganisés par le départ d’une grande partie des fonctionnaires et administrés provisoirement par le Comité central. Il faut que Paris, qui a tant souffert de la faim pendant le siège, puisse se nourrir. Viard et la Commission des subsistances prennent des mesures de taxation du pain et de la viande et, en liaison avec les mairies, assurent le contrôle des halles et marchés. Le service des Postes est rétabli en quarante-huit heures tandis qu'un conseil des Postes, créé au début d’avril, comprenant des représentants du personnel, sorte de "commission paritaire" avant la lettre, devait décider du recrutement et de l’avancement des fonctionnaires. Un ouvrier bijoutier, Camelinat, membre de l’Internationale, dirige la Monnaie. Le service de l’Imprimerie nationale imprime les affiches de la Commune. Contrainte de réorganiser le service de santé, la Commune décrète, le 13 avril, la constitution de compagnies d’ambulances. Dans les arrondissements, les bureaux de bienfaisance sont remplacés par l’assistance communale.

En ce qui concerne la Justice, la Commune décide la gratuité du recours aux juges et le principe de leur élection, mais doit remettre à plus tard l’exécution de ce décret. Elle supprime, en outre, la vénalité des charges de notaires, d’huissiers et autres officiers publics pour en faire des fonctionnaires : ces mesures, si elles avaient eu le temps d'être mises en œuvre,  auraient eu pour résultat d’enlever à l’exercice de la justice son caractère de classe.

Aux Finances, la Commune avait placé un homme particulièrement intègre, un employé de banque, Francis Jourde. Il s’efforça de percevoir les recettes traditionnelles et d’éviter le gaspillage. Mais la Commune recula devant la mesure révolutionnaire qu’aurait été la nationalisation de la Banque de France, erreur qui contribua à sa défaite.

Au contraire, sur le plan de l’enseignement, la Commune agit avec vigueur et continuité. Pour forger la société de l’avenir qu’elle souhaitait, il fallait former des femmes et des hommes échappant à l’emprise cléricale. D’où la nécessité de créer un enseignement gratuit, laïque et obligatoire, qui assurât à la jeunesse une formation républicaine et qui combinât théorie et pratique[7]. La Commission de l’enseignement et les municipalités de Paris firent appel à toutes les compétences, à toutes les bonnes volontés. La société de l’Éducation nouvelle convie alors les éducateurs et les parents à discuter des réformes à réaliser dans les programmes et les méthodes d’enseignement ; les discussions qui en résultent préconisent des expériences pédagogiques qui seront appliquées par la suite dans presque tous les pays. Louise Michel propose à la Commune une méthode d’enseignement dans laquelle elle accorde la plus grande importance à la formation morale des enfants. Des écoles congréganistes ont fermé leurs portes : la Commune demande aux citoyens et citoyennes qui voudraient obtenir des postes de présenter leur candidature à la Commission de l’enseignement et confie l’inspection des écoles aux membres de la Commune. Le délégué à l’Enseignement, Édouard Vaillant, invite les municipalités à créer des écoles professionnelles, en particulier pour les jeunes filles et deux écoles sont aussitôt ouvertes, l’une rue Lhomond, l’autre rue Dupuytren. La Commune décide en outre de relever les traitements des instituteurs et institutrices. Pour la première fois, on proclame l’égalité des salaires entre les hommes et les femmes !

Paradoxalement, et alors même que de nombreuses femmes ont milité pour elle et sont mortes pour sa défense, la Commune s'est montrée souvent hostile aux femme. Toutefois, des mesures sont prises pour reconnaître la famille prolétarienne, telle qu’elle existait réellement, et faire éclater les structures traditionnelles instituées par les lois civiles et religieuses tandis que, pour le paiement des pensions des fédérés tués au combat, la Commune ne fait pas de distinction entre les femmes mariées ou non, entre les enfants légitimes ou naturels.

Mais c’est dans le domaine du travail que la Commune de Paris amorce son œuvre la plus profonde de précurseur. La Commission du travail, de l’industrie et des échanges est dirigée par un ami de Marx, Frankel, qui avait reconstitué, avec Varlin, le conseil fédéral de l’Internationale. "Nous ne devons pas oublier, déclare-t-il le 13 mai, que la révolution du 18 mars a été faite par la classe ouvrière. Si nous ne faisons rien pour cette classe, je ne vois pas la raison d’être de la Commune". Une première série de mesures de caractère social concerne les loyers, les échéances et les dépôts au Mont-de-Piété. Dès le 30 mars, la Commune décrète la remise des termes d’octobre 1870, janvier et avril 1871, sans contrepartie pour les propriétaires ; le 25 avril, les locaux abandonnés doivent être réquisitionnés en faveur des habitants dont les appartements ont été endommagés par les bombardements.

La Commune décide, après de longues hésitations, que le remboursement des échéances commencera seulement à partir du 15 juillet 1871 et sera étalé sans intérêts sur trois ans. Les objets d’une valeur inférieure à vingt francs, déposés au Mont-de-Piété, "cette banque du pauvre", peuvent être dégagés gratuitement.

Le travail de nuit des boulangeries est supprimé le 20 avril ainsi que la pratique courante des amendes et retenues opérées sur les salaires par les patrons. D’autres mesures vont beaucoup plus loin. Le 16 avril, un décret constitue une commission d’enquête formée par les chambres syndicales. Celles-ci sont chargées de dresser la liste des ateliers abandonnés et de présenter un rapport qui permette de les remettre en marche par les soins d’associations coopératives des ouvriers qui y sont employés. Un jury arbitral devait établir, par la suite, l’indemnité payée aux patrons s’ils revenaient. Malgré cette réserve, ce décret constituait, en fait, une expropriation du capital au profit des coopératives ouvrières. Les ouvriers mécaniciens et métallurgistes, puis les tailleurs, les ébénistes, les cloutiers, les boulonniers nomment des délégués à la Commission d’enquête, qui tient deux séances, les 10 et 18 mai. L’Union des femmes, de son côté, suscite dans le même sens un projet d’organisation du travail des femmes, qui doit éviter le piège des ateliers charitables, tels qu’ils fonctionnèrent en 1848. Elle convie les ouvrières à la réunion du 18 mai, pour contribuer à l’élection des déléguées qui constitueront la Chambre fédérale des travailleuses. Enfin, pour éviter les baisses de salaires, Frankel propose que les marchés d’habillement militaire soient passés directement avec les coopératives ouvrières.

  1. La Commune combattante

Mais la Commune gouverna dans le désordre, oscillant sans cesse entre la dictature et l’anarchie. Les responsables des diverses commissions chargées des services ministériels changèrent à plusieurs reprises, en ce qui concerne particulièrement les affaires militaires. Comme la situation s’aggravait, les "jacobins" de la Commune firent voter, par 45 voix contre 23, la formation d’un Comité de salut public[8], dont l’intervention dans les affaires de la guerre fut particulièrement malheureuse. Renouvelé, avec l’appui de la minorité cette fois, après la démission du délégué à la guerre Rossel, le nouveau Comité de salut public prit quelques mesures salutaires, mais trop tardives. La lutte entre majorité et minorité, les rivalités de personnes minaient la Commune de l’intérieur ; en outre, l’ingérence continuelle du Comité central de la garde nationale dans les affaires militaires paralysait son pouvoir. La prolifération inconsidérée de comités divers, qui soutenaient la révolution, l’affaiblissait en même temps, en particulier en ce qui concerne la défense de la Commune. La Commune se méfiait des militaires qu’elle avait délégués à la guerre : de l’aventurier Cluseret aussi bien que du généreux Rossel. Les gardes nationaux les plus ardents étaient des combattants révolutionnaires, qui répugnaient à une discipline nécessaire. Enfin, des tentatives de conciliation de la part de l’Union des chambres syndicales, de l’Union républicaine des droits de Paris, des députés de Paris, des membres de la franc-maçonnerie, alors qu’il ne pouvait y avoir de conciliation entre la Commune et Versailles, n’eurent pour effet que d’amoindrir la résistance de Paris.

Paris n’eut jamais plus de 40 000 combattants, auxquels il faut ajouter des femmes et des adolescents. Thiers, au contraire, avait, avec l’appui de Bismarck, reformé son armée : elle comptait 63 500 hommes, auxquels s’ajoutèrent 130 000 prisonniers libérés d’Allemagne[9]. Jusqu’aux élections de la Commune, il n’y a guère que quelques escarmouches. Mais, le 30 mars, les fédérés sont délogés du rond-point de Courbevoie. Le 2 et le 3 avril, les fédérés essayent de prendre l’offensive. Flourens et Duval sont exécutés par les "versaillais". À ces exécutions de prisonniers, la Commune répond par le "décret des otages", qui d’ailleurs ne sera pas appliqué. Du 11 avril au 21 mai, la lutte se poursuit autour de Paris. Le général de la Commune, Dombrowski, inflige aux versaillais des pertes importantes. Mais, après une courte trêve qui permet aux habitants de quitter Neuilly en ruines, les versaillais reprennent leurs attaques. Les forts du Sud sont intensément bombardés. Le fort d’Issy, abandonné un moment, est repris par les fédérés. C’est alors que la Commune remplace Cluseret par Rossel (30 avril), qui essaie en vain de réorganiser l’armée fédérée.

À partir du 1er mai commence le bombardement systématique de Paris par l’armée versaillaise[10]. Dans la nuit du 3 au 4 mai, la redoute du Moulin-Saquet tombe, puis, le 8, le fort d’Issy, qui n’est plus qu’une ruine. Las, dégoûté, Rossel donne sa démission de délégué à la Guerre ; il est remplacé par un délégué civil, le vieux jacobin Delescluze. Le 13, le fort de Vanves tombe à son tour. Passy, Grenelle, Auteuil, la Muette croulent sous les obus versaillais.

Le dimanche 21 mai, les troupes gouvernementales entrent dans Paris par la porte de Saint-Cloud. Pendant une semaine, les combattants de la Commune luttent quartier par quartier, maison par maison, barricade par barricade. Les versaillais fusillent tous ceux qu’ils prennent les armes à la main ; les premières exécutions massives ont lieu à la caserne de la rue de Babylone tandis que les pompiers de la Commune éteignent l’incendie du ministère des Finances, allumé par des obus versaillais.

Au sujet des incendies imputés aux communards et donc qualifiés de criminels et terroristes par la propagande versaillaise, un point s'impose : d'abord, ce sont les obus de Thiers qui ont endommagé et incendié les quartiers de l’Ouest ; ensuite, certains incendies sont attribuables à des agents bonapartistes, qui avaient intérêt à faire disparaître des traces de la gestion impériale ; enfin, les incendies allumés par les communards au cours des combats doivent être assimilés à des actes de guerre : ce furent des moyens militaires de s’opposer à l’avance de l’ennemi. La Légion d’honneur, la Cour des comptes, le Conseil d’État ont été ainsi la proie des flammes. Si les communards mettent le feu à la Préfecture de police et à une partie du Palais de Justice, des mesures sont prises pour sauvegarder la Sainte-Chapelle et Notre-Dame.

Aux massacres des habitants de Paris par les troupes régulières, la Commune répond en faisant exécuter cinquante-deux otages, dont l’archevêque de Paris, Mgr Darboy. Le 26 mai, la résistance est à son comble, tandis que les exécutions sommaires par les versaillais se multiplient à mesure qu’ils avancent dans Paris. Le 27 mai, c’est le massacre des fédérés au milieu des tombes du Père-Lachaise. Cependant, le 28, Ferré, Varlin, Gambon se battent encore au cœur du Paris populaire, entre la rue du Faubourg-du-Temple et le boulevard de Belleville. À une heure, la dernière barricade tombe. Le lendemain, le fort de Vincennes capitule et ses neuf officiers sont fusillés sur-le-champ.

Les jours suivants, les cours martiales continuèrent à condamner à mort. Il suffisait qu’une femme fût pauvre et mal vêtue pour être exécutée comme "pétroleuse". La Seine était devenue un fleuve de sang. Le 9 juin, Paris-Journal écrivait encore : "C’est au bois de Boulogne que seront exécutés à l’avenir les gens condamnés à la peine de mort par la cour martiale. Toutes les fois que le nombre des condamnés dépassera dix hommes, on remplacera par une mitrailleuse le peloton d’exécution". L’"armée de l’ordre" avait perdu 877 hommes depuis le début d’avril. Mais on ne sait exactement combien d’hommes, de femmes et d’enfants furent massacrés au cours des combats ou sur l’ordre des cours martiales. On peut sans doute avancer le chiffre de trente mille victimes[11].

À Versailles, on avait entassé plus de trente-huit mille prisonniers. On en envoya aussi dans des forts et sur des pontons. Beaucoup moururent de mauvais traitements. Pour juger les vaincus de la Commune, quatre conseils de guerre fonctionnèrent jusqu’en 1874. Il y eut 10 042 condamnations et 3 761 condamnations par contumace. Ferré, Rossel se montrèrent devant les conseils de guerre à la hauteur de leur destin. Ils furent condamnés à mort et fusillés. Le plus grand nombre fut déporté en Nouvelle-Calédonie ou en Guyane. D’autres réussirent à gagner la Belgique, la Suisse et l’Angleterre. L’amnistie, votée en 1880, ramena en France les derniers survivants.

Certes, la Commune a commis de lourdes fautes. Elle n’a pu ni organiser sa défense, ni lier son action à celle de la province et de la paysannerie. Sans doute les conditions économiques n’étaient-elles pas mûres encore pour instaurer sur des bases socialistes la nouvelle société qu’elle entrevoyait. Mais, par les décisions prises pour l’organisation du travail (suppression du travail de nuit pour les ouvriers boulangers, suppression des amendes et retenues sur les salaires, réouverture et gestion des ateliers par des coopératives ouvrières…) et par diverses mesures sociales, la Commune a tracé la voie à une société qui ne serait plus gérée au profit du capitalisme, dans l’intérêt de la bourgeoisie, mais qui déboucherait sur le socialisme, un socialisme libertaire. C’est donc à partir de faits très réels que Karl Marx, le premier, a pu écrire : "Le Paris ouvrier, avec sa Commune, sera célébré à jamais comme le glorieux fourrier d’une société nouvelle. Ses martyrs seront enclos dans le grand cœur de la classe ouvrière". Cependant, la Commune fut en majorité un gouvernement de petits-bourgeois et l’on ne saurait y trouver en germe l’idée de la dictature du prolétariat, ni même l’organisation d’un parti directeur de la classe ouvrière. Anarchistes, communistes, socialistes de diverses obédiences peuvent donc à la fois se réclamer de son expérience et en dégager, par-delà l’histoire et sans la fausser, la force élémentaire d’un mythe révolutionnaire et un espoir : celui d’une société sans classes, où régnerait la justice sociale.

Les Marins de Cronstadt

Au cours de la révolution de 1905-1907, les marins de la flotte de la mer Noire et de la Baltique jouent un rôle considérable. Ceux de Cronstadt se soulèvent à deux reprises. Le premier soulèvement est consécutif au manifeste du tsar (17 octobre 1905) qui déclenche toute une série de meetings de protestation, notamment le 23. Les équipages revendiquent l’amélioration du service et, sous forme d’ultimatum, un régime démocratique. Le signal du soulèvement est donné le 26 octobre lorsque l’escorte tire sur les manifestants venus libérer les marins arrêtés. Il se poursuit jusqu’au 28 au matin où les troupes, venues d’Oranienbaum et de Peterhof, se rendent maîtresses de la situation. La répression fait rage jusqu’au 1er novembre. De nombreux marins et soldats passent en jugement et la plupart d’entre eux doivent de n’être pas fusillés au mouvement de solidarité qui se propage à Saint-Pétersbourg. Le 18 juillet 1906, c’est la nouvelle du soulèvement de Sveaborg qui accélère la décision d’un soulèvement à Cronstadt. Une réunion pluripartite au matin du 19 en fixe le début à 23 heures. Elle prévoit la prise d’objectifs civils et militaires, notamment les forts. Les officiers de la première et de la deuxième division de marine sont arrêtés. Le fort Constantin est pris. Mais dans la précipitation, l’information circule mal, les insurgés se heurtent au régiment Ienisseï qui ne sait même pas qui sont ses adversaires. Le soulèvement est stoppé dans la nuit avec l’arrivée de troupes de renfort. L’état de siège est décrété, la répression se fait plus farouche encore qu’en octobre 1905.

Pendant toute l’année 1917, Cronstadt joue un rôle de premier plan dans la révolution. En avril-mai se produit l"incident de Cronstad", le soviet ayant récusé l’autorité du gouvernement provisoire. Il s’achève sur une négociation donnant au soviet le droit de désigner, en son sein, le commissaire du gouvernement. L’agitation reprend à la fin du mois de juin, avec l’arrestation à Petrograd de soixante anarchistes, parmi lesquels des marins de Cronstadt. Après une lutte d’influence serrée entre socialistes révolutionnaires, anarchistes et bolcheviks, il est décidé un appel à la marche sur Petrograd. Un cortège de dix mille hommes environ, en partie armés, composé de marins, de soldats et d’ouvriers se rend le 4 juillet à Petrograd et manifeste à travers toute la ville, aux cris de"tout le pouvoir aux soviet". C’est la première des "journées de juillet", à l’issue desquelles le gouvernement provisoire tentera à plusieurs reprises de désarmer Cronstadt. Dès le début du putsch de Kornilov, le 27 août, les marins de Cronstadt se préparent et participent (un détachement de 3 000 hommes environ) à la défense de Petrograd, tandis qu’ils organisent celle de Cronstadt même, contribuant ainsi à faire échouer la tentative de putsch. Dans le plan de l’insurrection d’octobre, les marins de Cronstadt et la flotte de la Baltique se voient assigner un rôle primordial. La commission technico-militaire de Cronstadt est mise sur pied dès le 10 octobre. Le 24 octobre, les marins de Cronstadt arrivent à Petrograd pour participer à l’insurrection ; le 25 au matin, six navires viennent en renfort, portant à cinq mille le nombre des Cronstadtiens qui participent à la prise de Petrograd. C’est d’ailleurs à un détachement de marins de Cronstadt qu’est confiée la garde du palais d’Hiver aussitôt après qu’il a été pris.

La révolte des marins de Cronstadt en février-mars 1921 est l’une des manifestations les plus marquantes de l’irritation qu’entraînait le monopole du pouvoir exercé par le Parti communiste russe. À la fin de la guerre civile, les réquisitions forcées provoquent le mécontentement dans les campagnes et la famine fait à nouveau son apparition. Dans les villes, l’approvisionnement et la situation de l’industrie sont précaires. À la fin de février 1921, la grève éclate à Petrograd. Elle est rapidement jugulée grâce à des concessions sur les fournitures de vivres. C’est néanmoins l’étincelle qui déclenche, six jours avant l’ouverture du Xème congrès du Parti communiste réuni à Petrograd, la révolte des marins de Cronstadt. Le 28 février, l’équipage du cuirassé Petropavlovsk  adopte une résolution revendiquant la réélection des soviets au suffrage universel et secret ; la liberté de parole et de presse pour les ouvriers, les paysans, les partis anarchistes et socialistes de gauche ; la liberté de réunion et d’association pour les ouvriers et les paysans, avec possibilité de constituer des syndicats ; la libération de tous les prisonniers politiques socialistes ; la suppression de tous les départements politiques spéciaux (armée, marine, transports) ; la disparition de la position privilégiée qu’occupe le Parti communiste ; la suppression de tous les détachements armés communistes ; le droit pour les paysans de disposer de leurs terres et la possibilité pour de petites manufactures d’exister à condition qu’il ne soit pas fait usage du travail salarié… Le lendemain, un meeting de 12 000 personnes à Cronstadt adopte la résolution du Petropavlovsk . Le 2 mars, est constitué un Comité révolutionnaire provisoire présidé par le marin Petritchenko. La révolte de Cronstadt dure quinze jours pendant lesquels est publié un quotidien, les Izvestia , sans rencontrer de résistance de la part des communistes locaux. Moscou demande la reddition et, devant le refus des marins révoltés, envoie le 7 mars, M. N. Toukhatchevski à la tête d’un détachement de l’Armée rouge pour juguler la révolte. 200 délégués environ du  Xème congrès vont à Cronstadt à la fois pour haranguer les soldats de l’Armée rouge récalcitrants et pour annoncer les concessions du congrès aux paysans et la nouvelle politique économique (N.E.P.) ; sans résultat. Cronstadt est prise d’assaut le 18 mars et la révolte est noyée dans un bain de sang. Celle-ci a servi de prétexte au Xème congrès pour interdire définitivement les autres partis et pour supprimer les fractions au sein du Parti communiste[12].

La makhnovschtchina

A la jonction des périodes tsariste et soviétique, un mouvement authentiquement anarchiste éclata en Ukraine méridionale, entre Don et Dniepr. Le rôle principal en revint à un jeune paysan, Nestor Makhno, qui venait de faire neuf ans de prison pour anarchisme et terrorisme. Libéré par la révolution, il occupa des fonctions de responsabilité, d’abord dans des organisations paysannes, puis dans la lutte contre l’envahisseur austro-allemand.

Au lendemain de la Première Guerre Mondiale, de 1918 à 1921, alors que l'Armée rouge était incapable de faire face aux attaques des diverses Armées Blanches, en Ukraine, Nestor Makhno (1884 – 1934), est sollicité par les bolcheviks pour organiser la résistance et lancer une offensive d'envergure contre les Blancs.

À partir de l’été de 1918, Makhno réussit à unifier le mouvement des partisans dans la région et, en 1919-1920, en prenant la tête d'une armée de paysans, à contribuer à tenir en échec, puis à défaire les troupes blanches de Denikine et de Wrangel, rendant de grands services aux bolcheviks qui purent ainsi avoir les coudées franches sur d'autres fronts et procéder, sous l'égide de Trotski à la (ré)organisation de l'Armée Rouge afin de pouvoir passer de la défensive à l'offensive.

Makhno prend alors la tête d'une armée de paysans et instaure sur les territoires ainsi libérés la makhnovschtchina qui est la première forme moderne de société anarchiste.

En octobre 1920, les bolcheviks  signèrent un traité d’alliance avec Makhno qui, en fait, était la reconnaissance officielle par Moscou de la makhnovschtchina.

Les armées blanches défaites grâce aux anarchistes, les autoritaristes – les bolcheviks –, sur l'ordre personnel de Lénine, se retournent alors contre leur ancien allié et, de concert avec la Tcheka, police politique née des cendres de celle du tsarisme, Trotski, à la tête de l'Armée Rouge, bafouant sans vergogne le traité d'alliance de 1920, lance, en novembre 1920, une vaste offensive contre la makhnovschtchina qui, encerclée, finit par être anéantie dans un bain de sang en août1921.

Nestor Makhno réussit à fuir et mourut à Paris en 1935.

La Révolution espagnole[13]

Pour comprendre la Révolution espagnole et la tragique fin qui fut la sienne, il faut faire un peu d'histoire car le décor de la tragédie a été planté dés le XIXème siècle, de même que c'est à cette époque que les acteurs – en tant que mouvements – se sont mis en place.

Au XIXèmesiècle, jusqu’en 1874, les militaires interviennent constamment dans la vie politique. Ensuite s’établit un régime parlementaire assez artificiel, mais qui assura la tranquillité d'une certaine paix sinon sociale, du moins politique. Ce siècle, longtemps mal étudié et mal jugé, a à son actif des progrès économiques non négligeables. Enfin, une des caractéristiques essentielles de la société espagnole à la fin du XIXème siècle et au début du XXème siècle fut le développement exceptionnel de l’anarchisme, accueilli avec plus de faveur que le socialisme par les populations de la bordure méditerranéenne.

On appelle généralement Restauration les années du règne d’Alphonse XII (1875-1885) et de la minorité d’Alphonse XIII, sous la régence de sa mère, Marie-Christine de Habsbourg-Lorraine (1885-1902). Mais cette période se prolonge sans changement majeur jusque vers 1917, lorsque s’ouvre une crise qui, après la dictature de Primo de Rivera, se terminera par la chute de la monarchie.

Par contraste avec la précédente, cette période se caractérise par la stabilité constitutionnelle. La Constitution de 1876 a fonctionné jusqu’en 1923. Elle établissait une monarchie parlementaire avec deux chambres, Sénat et Cortes. Le suffrage restreint, adopté à l’origine, fut remplacé en 1890 par le suffrage universel. Cánovas del Castillo, instaurateur du système, était convaincu qu’il ne pouvait fonctionner que sur le modèle anglais, c’est-à-dire par l’alternance au gouvernement de deux grands partis respectueux de la Constitution. Tout en prenant la direction du parti conservateur, il poussa à la formation d’un parti libéral, dont le chef fut Sagasta. Effectivement, les deux partis exercèrent tour à tour le pouvoir. Seules les apparences de la démocratie étaient respectées, car lorsque le souverain désignait pour président du Conseil un homme politique, celui-ci, aux élections suivantes, s’assurait une majorité grâce à la pression de l’administration centrale et à l’influence des "caciques" locaux. Il faut dire que la société espagnole était très différente de la société anglaise et que l’on comptait 75% d’analphabètes en 1877 (66% en 1900)[14]. Ce système offrait du moins l’avantage de mettre un terme aux pronunciamientos. Deux partis restaient en dehors du régime, les carlistes et les républicains. Cánovas parvint à mettre fin à la seconde guerre carliste en 1876, à la suite de quoi les provinces basques perdirent leurs fueros.

Quant aux républicains, ils se partageaient en plusieurs tendances. Si Ruiz Zorrilla inspira encore quelques conspirations infructueuses, le chef le plus prestigieux, Castelar, finit par accepter la monarchie. Dans les vingt premières années de la Restauration, la vie politique fut assez calme. Les deux grands partis, assez proches l’un de l’autre, étaient tous deux favorables à la centralisation et réalisèrent une œuvre législative importante, notamment la rédaction d’un Code civil. À partir de 1895, les révoltes coloniales, l’assassinat de Cánovas par un anarchiste, et plus encore le désastre de 1898 mirent le point final à cette relative tranquillité et suscitèrent une vague de découragement.

Lorsque Alphonse XIII commença son règne personnel en 1902, il se trouva affronté à des problèmes plus graves que ses prédécesseurs. Le carlisme était devenu à peu près inoffensif, mais à sa place se développaient des mouvements régionalistes. Le plus puissant, le catalanisme, d’abord littéraire et sentimental, formulait maintenant un programme politique et organisait un parti, la Lliga, qui obtenait des succès électoraux. Le nationalisme basque, lui, en était encore à ses débuts. Partout, la question sociale se posait dans toute son acuité[15]. Le mouvement ouvrier, qui avait débuté timidement sous la première République, était devenu une force. Mais il s’était très rapidement divisé en deux branches concurrentes. Les socialistes marxistes, qui suivaient Pablo Iglesias, avaient formé une confédération syndicale, l’Union générale des travailleurs (U.G.T.), qui recrutait ses adhérents dans le prolétariat de Madrid et du Nord. En face d’eux grandissait un mouvement anarchiste, beaucoup plus fort que dans tout autre pays d’Europe. Les idées de Bakounine, introduites en Espagne par l’Italien Fanelli, avaient trouvé une audience extraordinaire dans les régions méditerranéennes et en Andalousie. Elles rallièrent non seulement des ouvriers, mais encore de nombreux journaliers agricoles qui vivaient dans la misère. On en arriva ainsi, en 1911, à la constitution de la Confédération nationale du travail (C.N.T.), d’inspiration anarchiste, dont les effectifs dépassèrent largement ceux de l’U.G.T.

Malgré cette conjoncture politique plus difficile, le régime parlementaire fonctionna à peu près régulièrement jusqu’en 1917. Les principaux hommes d’État de ce temps-là furent, pour le parti conservateur, Antonio Maura, qui eut à faire face à la "Semaine tragique" de Barcelone, marquée par de nombreux attentats, et qui dut quitter le pouvoir après l’exécution de Francisco Ferrer (1909), et Eduardo Dato, initiateur de réformes sociales ; pour le parti libéral, José Canalejas, qui pratiqua une politique modérément anticléricale, puis le comte de Romanones. Canalejas et Dato devaient périr l’un et l’autre victimes des anarchistes. En 1917, alors que les deux grands partis étaient déjà affaiblis par des dissidences, éclata une crise d’une extrême gravité. Des "juntes de défense militaire", formées par des officiers mécontents de leur sort, traitèrent d’égal à égal avec le pouvoir civil, puis une grève générale faillit paralyser le pays. Par la suite, les crises ministérielles se succédèrent à un rythme rapide, tandis que le désordre régnait à Barcelone et que l’armée du Maroc subissait le désastre d’Annual (1921).

Ainsi s’explique le succès du coup d’État du général Primo de Rivera qui, en 1923, renoua avec la vieille tradition des pronunciamientos. Il fut appuyé par Alphonse XIII, qui y vit un moyen de rétablir l’ordre. Primo de Rivera gouverna d’abord avec une junte militaire, puis avec des ministres civils. Ayant suspendu l’activité de tous les partis politiques, il tenta de susciter une formation favorable au régime, l’Union patriotique. Il obtint la collaboration sur le plan technique du leader ouvrier Largo Caballero, nommé conseiller d’État, mais s’aliéna les Catalans en supprimant l’organisme commun qui avait été concédé à leurs quatre provinces en 1911, la Mancomunidad. Les finances furent gérées avec prudence par Calvo Sotelo et le réseau routier amélioré. Le Maroc fut pacifié. Mais la crise internationale de 1929 eut des répercussions sur l’économie et les finances espagnoles ; l’hostilité des anciens hommes politiques et des intellectuels devint de plus en plus vive. Primo de Rivera, qui n’était plus soutenu par ses pairs, quitta le pouvoir en janvier 1930. Il devait mourir peu après. Alphonse XIII essaya vainement de revenir au régime parlementaire par des cabinets de transition présidés par le général Berenguer et l’amiral Aznar. Malgré l’échec d’un pronunciamiento républicain tenté par la garnison de Jaca, l’opinion publique devenait nettement défavorable à la monarchie. Les élections municipales du 12 avril 1931 prirent l’allure d’un plébiscite contre le roi, les républicains l’emportant dans presque tous les chefs-lieux de provinces. Alphonse XIII se décida très rapidement à quitter l’Espagne. Le 14 avril, la république était proclamée.

Les événements qui se sont déroulés pendant la brève durée de la IIème République et au cours de la guerre civile ont donné lieu à une énorme littérature où la propagande tient beaucoup de place. Il est difficile d’en présenter une vue objective. On a recherché les causes lointaines de cette crise d’une ampleur inaccoutumée dans le déséquilibre profond dont souffrait la société espagnole, dans la répartition très inégale de la propriété, surtout dans le Sud, dans la faiblesse de la bourgeoisie et des classes moyennes.

Il semble bien que l’Espagne ait manqué d’une base solide pour le fonctionnement d’une véritable démocratie. Ajoutons qu’à cette époque de grandes luttes idéologiques entre communisme, fascisme et libéralisme se déroulent en Europe et que l’écho en a retenti en Espagne. De même pour les conséquences de la crise économique mondiale qui débute en 1929. Elle a stoppé l’émigration, augmenté la pression démographique et amené un effondrement du commerce extérieur, qui est descendu au tiers de ce qu’il était sous Primo de Rivera. La production minière et sidérurgique a subi un recul. Le nombre des chômeurs atteignit un niveau inquiétant (675 000 en 1936). Seuls éléments favorables dans ce tableau, les bonnes récoltes de blé de 1932 et 1934 et une prospérité relative de l’industrie textile catalane. Pendant la IIème République, l’exaspération de tous les conflits, entre possédants et prolétaires, entre catholiques et anticléricaux, entre centralistes et régionalistes ne rendait possible que la révolution ou la dictature militaire. Et cela d’autant plus que, de part et d’autre, on n’écartait nullement le recours à la force. Dans l’armée revivait l’ancienne tradition des pronunciamientos. Du côté des masses ouvrières et chez les paysans les plus misérables dominait l’esprit révolutionnaire. Nulle part l’anarcho-syndicalisme, groupé dans la C.N.T. et poussé par les éléments beaucoup plus actifs de la F.A.I. (Federación anarquista ibérica), n’était aussi puissant. Et si le communisme ne comptait que peu de militants, toute une fraction du parti socialiste et de l’U.G.T., menée par Largo Caballero, n’était plus disposée à se contenter de simples réformes. La constitution, en 1933, d’un nouveau parti réunissant la Phalange de José Antonio Primo de Rivera, fils du dictateur, et les Juntes offensives national-syndicalistes (J.O.N.S.) augmentait encore le nombre des partisans de la manière forte. C’est ainsi qu’on en arriva au terrible affrontement de 1936.

En 1931, les perspectives ne paraissaient pas aussi sombres, et c’est dans une atmosphère d’enthousiasme et dans le calme que s’effectua le changement de régime. Un gouvernement provisoire se forma sous la présidence d’un ancien ministre de la monarchie, Alcalá Zamora. Il réunissait des opinions très diverses : républicains conservateurs (Miguel Maura), radicaux (Alejandro Lerroux), radicaux-socialistes et Action républicaine (Manuel Azaña), socialistes modérés (Indalecio Prieto) ou avancés (Largo Caballero), catalanistes et autonomistes galiciens (Casares Quíroga). Malgré la mauvaise impression causée par l’incendie de quelques couvents à Madrid, les élections de juin 1931 donnèrent une énorme majorité à cette coalition où les éléments de gauche étaient prépondérants. En Catalogne, en particulier, un parti nouveau, l’Esquerra, supplantait la vieille Lliga, plus modérée. Cette région avait mis à sa tête, dès le 14 avril, un fougueux partisan de l’autonomie, le colonel Macía, qui s’était hâté de proclamer la République catalane. Le gouvernement évita la rupture en promettant une large autonomie. Très vite, les difficultés s’accumulèrent. Les articles anticléricaux insérés dans le projet de constitution amenèrent la démission d’Alcalá Zamora et de Maura. Cependant Alcalá Zamora accepta la présidence de la République, laissant la direction des affaires à Azaña, qui forma un gouvernement orienté plus à gauche (novembre).

Azaña resta au pouvoir jusqu’à l’été de 1933 et entreprit une œuvre de grande envergure qui visait non seulement à l’instauration d’un nouveau régime, mais encore à des transformations profondes de la société. La nouvelle Constitution établit une république de travailleurs, laïque et parlementaire, avec une assemblée unique. Elle laissait la porte ouverte à une organisation semi-fédérale de l’État, pour donner satisfaction aux aspirations autonomistes des Catalans, des Basques, et même des Galiciens. Ayant pris le portefeuille de la Guerre, Azaña réalisa une réforme militaire, en offrant aux officiers qui ne voulaient pas prêter serment de fidélité à la République de prendre leur retraite à des conditions avantageuses. Cela permit de ramener le nombre des officiers, dénoncé depuis longtemps comme excessif, à un chiffre plus en rapport avec les effectifs de la troupe. Beaucoup plus hasardeuse fut la politique anticléricale, qui se manifesta notamment par la sécularisation de l’enseignement, l’expulsion des Jésuites et l’introduction du divorce. L’opposition de tendance monarchiste, très faible sur le terrain parlementaire, tenta en août 1932, par l’entremise du général Sanjurjo, un pronunciamiento qui échoua. Cet événement facilita le vote des projets de réforme agraire dont la discussion traînait. Ils avaient pour but de faire disparaître les latifundia, de pénaliser l’absentéisme et de faire accéder les paysans à la propriété. Dans la première version du projet, les expropriations devaient comporter une indemnité, ce qui subordonnait la réalisation de la réforme aux possibilités financières. Le coup d’État manqué de Sanjurjo permit à Azaña d’accélérer la procédure, en confisquant les biens considérables de la noblesse, accusée de complicité. Par ailleurs, il fit voter le statut catalan. Le point faible de son gouvernement fut l’opposition qu’il rencontra de la part des anarchistes, qui trouvaient que la réforme agraire était trop lente. Un corps de police nouveau, la Garde d’assaut, fut chargé de réprimer les émeutes, dont la plus sanglante fut l’affaire de Casas Viejas en Andalousie.

Les réformes entreprises par Azaña, qui ébranlaient les grands corps traditionnels, armée et Église, et qui frappaient les grands propriétaires, ainsi que l’agitation anarchiste suscitèrent une inquiétude croissante, non seulement dans les milieux visés, mais aussi dans les classes moyennes et une partie de la paysannerie. On le vit bien aux élections de novembre 1933 où la gauche fut écrasée, la majorité se partageant entre les radicaux qui avaient évolué vers la modération et une coalition des droites (C.E.D.A.) regroupant, avec les monarchistes alphonsistes ou carlistes, des éléments d’inspiration démocrate chrétienne, mais assez conservateurs, qui n’avaient pas pris parti officiellement sur la question du régime, et dont le chef était un professeur de droit, Gil Robles. Le pouvoir revint aux radicaux, soutenus par la C.E.D.A. L’année suivante, le rapprochement entre Lerroux et Gil Robles se traduisit par l’entrée de trois ministres "cédistes" au gouvernement. Les partis de gauche recoururent alors à l’insurrection. À Barcelone, où Companys, successeur du colonel Maciá, proclama l’État catalan, elle n’eut aucun succès. Mais, dans les Asturies, où socialistes et anarchistes avaient formé un front commun, elle tint pendant une quinzaine de jours la région minière, et il fallut une intervention de l’armée, dirigée depuis Madrid par le général Franco[16], pour la réduire. La coalition gouvernementale en sortit fortifiée. Dans toute l’Espagne, de nombreuses personnalités et militants de gauche furent emprisonnés. La réforme agraire d’Azaña fut annulée par le vote d’une nouvelle loi qui ne permettait plus l’accession à la propriété qu’à un rythme très lent. Le gouvernement parut se laisser influencer par les partisans d’une réaction sociale et les adversaires de l’autonomisme catalan. Un scandale financier ruina la popularité de Lerroux, et le président de la République chargea un gouvernement de transition de convoquer un nouveau Parlement. Aux élections de février 1936, les partis de gauche s’unirent en un Front populaire qui remporta la majorité des sièges. Leur succès était dû à la propagande en faveur de l’amnistie, à l’échec de la réforme agraire et à l’intervention du vote anarchiste. La droite se maintint mieux que le centre, qui fut écrasé.

Azaña remplaça Alcalá Zamora à la présidence de la République et chargea Casares Quíroga de former un ministère auquel les socialistes, chez qui la tendance révolutionnaire devenait prédominante, ne participèrent pas. L’ordre public fut troublé : des églises furent brûlées, des rencontres sanglantes opposèrent militants d’extrême gauche et phalangistes. Aux Cortes, les chefs de l’opposition, Gil Robles et Calvo Sotelo, dénoncèrent l’incapacité du gouvernement dans une atmosphère passionnée. Le 13 juillet, Calvo Sotelo était assassiné, en représailles du meurtre d’un lieutenant de gardes d’assaut.

C’est dans ce climat de violence que se produisit ce qu’on appelle le soulèvement (el alzamiento). Il se préparait depuis le mois de mars dans les milieux militaires. Les généraux Franco et Goded ayant été envoyés respectivement aux Canaries et aux Baléares, c’est le général Mola, gouverneur de Pampelune, qui tint en mains les fils de la conspiration et qui négocia avec les carlistes. Le meurtre de Calvo Sotelo souda la coalition des opposants. Le soulèvement commença le 17 juillet à Melilla. Franco quitta en avion les Canaries et vint prendre le commandement des troupes du Maroc. Mola, appuyé par les requetés[17], prit la direction des opérations au Nord. Il y eut quelques jours d’extrême confusion. Le coup d’État réussit assez facilement à Saragosse, en Vieille-Castille et en Galice, la République conservant le littoral cantabrique. En Andalousie, les militaires ne purent que contrôler quelques villes isolées mais importantes : Séville, avec le général Queipo de Llano, Cadix, Cordoue et Grenade. L’échec fut total à Madrid et à Barcelone, après que le nouveau gouvernement Giral se fut décidé à distribuer des armes aux milices ouvrières. Toute la façade méditerranéenne resta entre les mains des républicains. Dans l’ensemble, l’armée et la Garde civile avaient été favorables au soulèvement, mais non les gardes d’assaut ; elles s’étaient heurtées aux grandes organisations ouvrières. À la différence des pronunciamientos classiques, qui réussissaient ou échouaient rapidement, le mouvement militaire n’obtint qu’un demi-succès. L’Espagne se trouva partagée en deux zones où s’instaurèrent des régimes opposés. De chaque côté, la nécessité d’assurer ses arrières amena à sévir contre les adversaires politiques et le recours à des procédés de justice sommaire.

Les nationalistes, comme on les appela, compensèrent leur infériorité initiale en faisant passer en Andalousie les troupes du Maroc. Une colonne, marchant vers le nord, prit Badajoz, reliant ainsi la zone sud au reste des territoires contrôlés par le mouvement. Remontant la vallée du Tage, elle délivra les assiégés de l’Alcazar de Tolède et arriva aux portes de Madrid (octobre). Au nord, les troupes navarraises coupèrent la zone républicaine de la frontière française et conquirent le Guipúzcoa. C’est alors que le front commença à se stabiliser. Les interventions étrangères y contribuèrent. Dès le début, l’aide italienne avait été précieuse pour les nationalistes, et les républicains avaient obtenu quelques avions du gouvernement français. Un comité de non-intervention fut mis sur pied, sur l’initiative de la France et de l’Angleterre. Il ne put empêcher, du côté nationaliste, la présence massive de troupes italiennes et l’envoi d’un groupe de spécialistes allemands, la légion Condor, ainsi que des livraisons de matériel de guerre ; du côté républicain, des fournitures considérables de matériel par la Russie soviétique. À l’instigation du Komintern se constituèrent des brigades internationales. Elles contribuèrent à arrêter l’offensive adverse sur le front de Madrid.

Dès lors, la guerre se prolongea. En 1937, une tentative de débordement de Madrid, menée par les Italiens, échoua à Guadalajara, mais le général Franco conquit successivement la Biscaye, Santander et les Asturies, liquidant ainsi le front nord. En janvier 1938, les républicains prirent Teruel, mais ils en furent délogés le mois suivant. En mars, les nationalistes enfoncèrent le front d’Aragon et atteignirent bientôt la Méditerranée à Vinaroz, coupant la Catalogne du reste de la zone républicaine. L’offensive se poursuivit avec plus de lenteur vers Valence. Les républicains attaquèrent alors sur l’Èbre ; une bataille d’usure, qui dura jusqu’en novembre, épuisa leur potentiel militaire. Prenant l’offensive à la fin de décembre sur le front de Catalogne, les nationalistes arrivèrent en six semaines à la frontière. Plus de 400 000 personnes, civils ou militaires, se réfugièrent en France. Dans la zone Madrid-Valence, les partisans de la reddition l'emportèrent sur ceux de la guerre à outrance, et tout fut terminé le 31 mars.

Que fut, pendant la durée de la guerre, la vie dans les deux zones   ? Du côté républicain, le gouvernement Giral ne put empêcher une véritable révolution. Sauf au Pays basque, le culte catholique ne fut pas célébré et des milliers d’ecclésiastiques périrent. Le processus de collectivisation, prôné par les anarchistes et freiné par les communistes qui subordonnaient tout à la conduite de la guerre, atteignit son maximum, à la campagne en Aragon, dans les usines en Catalogne. En septembre 1936, Giral céda la place à Largo Caballero, qui forma un ministère où entrèrent des communistes et, peu après, des anarchistes[18]. La coalition manquait de solidité ; le désaccord était patent entre communistes et anarchistes. En mai 1937, les deux camps s’opposèrent violemment à Barcelone. Largo Caballero fut remplacé par un autre socialiste, le Dr Negrín, qui confia le portefeuille de la Défense nationale à Prieto. Les anarchistes ne participèrent plus au gouvernement, et, jusqu’aux derniers jours de la guerre, l’influence communiste fut prépondérante, en raison de la nécessité absolue du soutien soviétique. Entre-temps, Prieto avait donné sa démission. Ce n’est qu’après la victoire des nationalistes en Catalogne que les communistes eurent le dessous.

Dans la zone nationaliste, c’était également une coalition qui soutenait les généraux. Elle comprenait les monarchistes alphonsistes et les amis de Gil Robles, mais les éléments les plus actifs étaient les carlistes et les phalangistes, ceux-ci privés de leur chef, José Antonio Primo de Rivera, emprisonné puis exécuté à Alicante. Ce sont apparemment les excès antireligieux commis dans l’autre zone qui contribuèrent le plus à cimenter cette coalition. Avec les encouragements de l’épiscopat, la guerre fut considérée comme une croisade. Tout d’abord n’avait été constituée qu’une junte militaire présidée par le général Cabanellas. La mort accidentelle de Sanjurjo, dès le début du soulèvement, facilita l’accès au pouvoir du général Franco, désigné comme chef de l’État et généralissime le 1er octobre 1936. En 1937, il réussit à associer dans un parti unique carlistes et phalangistes. Cette cohésion fut un des facteurs essentiels du succès.

La Société Des Nations laissa faire. Comme elle laissa faire Hitler et Mussolini. Mais, devant le Tribunal de l'Histoire, il est un procès qui reste à ouvrir : celui de la complicité du Gouvernement français qui, en contribuant à isoler physiquement l'Espagne par la fermeture des frontières terrestres et en refusant d'entendre les appels au secours – ne serait-ce que sous la forme d'une assistance matérielle – que n'a cessé de lui lancer le Gouvernement français, a lourdement contribué à la défaite des républicains puisque,  indirectement, il a ainsi laissé les coudées franches à Franco et aux Alliés de l'Axe. En outre, ce Tribunal aurait à connaître du véritable crime que ce même Gouvernement a commis à l'encontre des réfugiés espagnols en les internant d'abord dans de véritables camps de concentration, puis en les livrant à la Gestapo et, ainsi, aux camps d'extermination et à la mort alors même que de nombreux réfugiés, ayant pu échapper aux camps ou s'en évader n'ont pas hésité à prendre les armes et rejoindre les maquis pour combattre les nazis et contribuer à la libération de la France.

Une parenthèse : le mythe de la cinquième colonne

Après le soulèvement du 18 juillet 1936 et leurs premiers succès contre les républicains, les troupes nationalistes des généraux Franco et Mola convergèrent vers Madrid. Elles étaient réparties en quatre colonnes. Cherchant le moyen de démoraliser leur adversaire, les responsables de la propagande franquiste eurent l’astuce, dans leurs émissions, de parler surtout de l’intervention proche et décisive de la cinquième colonne nationaliste qui fourbissait ses armes dans la capitale même du gouvernement républicain. Cette trouvaille, annonciatrice de la guerre psychologique, incita effectivement les républicains à renforcer leurs troupes affectées à la garde des points stratégiques de l’arrière, favorisant ainsi l’instauration d’un climat de suspicion propice aux épurations sanglantes et hâtives.

Un mythe était né : il ne manqua pas de franchir les Pyrénées. En mai-juin 1940, sur les routes de France, l’armée, engluée dans l’exode des civils, est en déroute. De bouche à oreille, une explication du désastre circule :"La cinquième colonne nous a vendus". Les Français, avides de se disculper de la défaite, seront tout prêts à croire, le cauchemar passé, au complot des pronazis et des profascistes de tous acabits.

Mais quel était le fondement de ce mythe ?

 En 1932, Hitler disait déjà : "Partout, en plein pays ennemi, nous aurons des amis qui nous aideront et la paix sera signée avant même que les hostilités aient éclaté". Les nazis, convaincus que la démolition d’un pays quelconque par l’intérieur n’est qu’une question d’argent et d’organisation, essayèrent, tout comme les Italiens, d’influencer en leur faveur une partie de la presse et de l’opinion publique. Mussolini financera des mouvements extrémistes comme le Parti franciste de Marcel Bucard, affilié à l’Internationale fasciste créée sous l’égide du général Coselschi au congrès de Montreux (déc. 1934), ou comme la Cagoule d’Eugène Deloncle, qui exécutera en contrepartie des émigrés antifascistes. Hitler trouvera d’abord des interlocuteurs bien disposés dans les milieux d’anciens combattants, prêts à œuvrer pour une réconciliation franco-allemande sincère et durable. Ainsi Gustave Hervé et Fernand de Brinon, le fondateur du Comité France-Allemagne. Brinon gagna à ses idées des journalistes et des écrivains comme Alphonse de Chateaubriant, Georges Suarez, Georges Blond, Drieu La Rochelle, des animateurs d’associations d’anciens combattants tels Georges Scapini et Henri Pichot. Le messager des propositions conciliantes des nazis était Otto Abetz, le futur ambassadeur de Hitler à Paris, alors employé du "bureau Ribbentrop", bien introduit dans le journalisme parisien.

Tout un milieu de pacifistes se développera à partir de Munich ; on y trouve, à côté des partisans de l’alliance pure et simple (Doriot), des représentants de l’extrême droite catholique, le frontiste Bergery, Marcel Déat, Pierre Laval, des radicaux-socialistes (tels Georges Bonnet, Chichery), des socialistes enfin (Paul Faure, Charles Spinasse). Toutes les nuances du défaitisme y sont représentées. Je suis partout, organe du fascisme "immense et rouge", refuse par avance une guerre fratricide qui ferait le lit du communisme. Mais la trahison ouverte est restée aussi exceptionnelle que le désir d’en découdre avec les Allemands dans le reste de la population, à quelques exceptions près, tel Paul Ferdonnet, speaker de Radio-Stuttgart. En résumé, cet amalgame bigarré de partisans du fascisme, de germanophiles et de pacifistes n’aura, semble-t-il, vraiment aucun rôle comme cinquième colonne organisée dans la déroute militaire de 1940 ; en revanche, il s’en réjouira dans l’ensemble plus qu’il ne s’en attristera, et il fournira nombre de ses cadres à la"collaboration" postérieure.

En fait, la cinquième colonne, que ce soit en Espagne ou en France, fut une œuvre habile de la part des services de propagande et d'espionnage nazis. Œuvre habile car le mythe prit corps et, comme il fallait bien trouver des coupables, les pacifistes et les anarchistes furent largement désignés à la vindicte populaire et au zèle des policiers !


[1] La Commune de Paris est presque exclusivement associée au communisme, c'est-à-dire au mouvement socialiste révolutionnaire d'obédience marxiste. Or, de nombreux anarchistes, femmes et hommes, connus ou anonymes ont activement participé à la Commune. Sous leur influence mais, pour une large part, en toute spontanéité, la Commune de Paris, dans ses actions et décisions, fut largement d'inspiration anarchiste.

[2] Parce qu'il était autoritariste, Marx était aussi opportuniste !

[3] La Commune de Paris n'institua cependant aucune dictature – fût-elle du prolétariat, aucune Tchéka…

[4] Rappelons que, pour une large part, les canons devant assurer la défense de Paris avaient été acquis sur… souscription populaire et que les parisiens pouvaient, à juste titre, s'en estimaient propriétaires.

[5] Cette fuite fut, somme toute, une attitude logique de la part d'un capitulard, futur égorgeur de la Commune.

[6] On oublie souvent que la Commune de Paris fut internationaliste : les étrangers purent prendre part au vote et plusieurs membres de la Commune n'étaient pas français.

[7] L'influence proudhonienne est évidente.

[8] De triste et sinistre mémoire !

[9] Entièrement équipés et armés par la Prusse, ils n'avaient été libérés que pour combattre et abattre la Commune.

[10] De nombreux canons versaillais était prussiens.

[11] 0 ce chiffre, il faut rajouter celui des morts à venir en prison, au bagne, en déportation…

[12] Il s'ensuivit une répression particulièrement féroce, sanguinaire et expéditive  du mouvement anarchiste

[13] Je préfère ce terme à celui de Guerre civile espagnole car, d'une part, la Guerre civile ne fut pas une fin mais seulement une conséquence et, d'autre part, le terme de Guerre civile, en mettant l'accent sur l'aspect militaire de cette page d'Histoire, occulte trop facilement les nombreuses mesures… révolutionnaires (collectivisation des terres et des usines, autogestion, suppression de la monnaie, laïcisation de l'enseignement, introduction du divorce…) qui ont, justement, été la cause de cette Guerre civile puisque le coup de force de Franco avait pour objectif de les abolir et de rétablir le bon vieil ancien ordre. Ce sont pourtant uniquement les aspects militaires qui seront exposés ici, le contenu social de cette Révolution devant faire l'objet d'un texte particulier.

[14] En Espagne – comme dans beaucoup d'autres pays -, l'analphabétisme s'explique par la politique d'obscurantisme délibéré menée par l'église catholique. Autre facteur historique : la régression intellectuelle en général et scientifique en particulier  causée par  des siècles d'Inquisition.

[15] Avec la misère des ouvriers mais, surtout, des paysans sans terre.

[16] Déjà à l'œuvre !

[17] En Espagne, le terme requetés  désigne les miliciens de la communion traditionaliste (carlisme). Il est tiré du refrain de la chanson de marche du 3ème bataillon navarrais pendant la guerre carliste de 1833. Ce refrain disait : eVamos andando, tápate, que se te vé el requeté" (Marchons et habille-toi, car on te voit le... requeté). Ce surnom donné au bataillon fut, par la suite, étendu à tous les autres. Ces volontaires endurants et braves, en majorité montagnards et au nombre de 25 000 environ, se battirent à deux reprises (1833-1839 et 1872-1876) pour la cause du prétendant don Carlos. Ils luttaient "pour Dieu, la patrie et le roi", défendant la religion traditionnelle, leurs fueros  (privilèges locaux) et la monarchie absolue incarnée par don Carlos, frère de Ferdinand VII et suivant la loi salique successeur légal de celui-ci - cela au désavantage d’Isabelle II, qui s’imposera après une longue guerre civile. Au nom de la "sainte tradition", ils exécraient les idées nouvelles, la démocratie libérale et le centralisme castillan. Leur théâtre d’opérations était la Navarre et les provinces basques, où ils remportèrent de brillantes victoires, mais furent finalement battus, en 1839 et 1879, par les armées libérales. En 1933, ils furent repris en main par l’avocat sévillan Manuel Fal Conde, délégué général du vieux prétendant Alfonso Carlos : ils s’entraînaient clandestinement dans les sierras de Navarre et avaient une école d’officiers à Pampelune. Quelques centaines d’entre eux reçurent une instruction militaire en Italie, à la suite d’accords secrets conclus en 1934 entre le chef carliste Olazábal et le gouvernement de Mussolini, qui fournit aussi des armes et des subsides. Les 19 et 20 juillet 1936, sur l’ordre de mobilisation reçu de leurs chefs, 8 000 requetés navarrais, venus des montagnes et de la vallée de l’Èbre sous la conduite de leurs alcades et de leurs curés, précédés du drapeau rouge et or de la monarchie, se concentrèrent à Pampelune sur la place del Castillo. Ils portaient le béret rouge, le scapulaire ou la croix brodée sur la chemise kaki et chantaient leur vieux chant de guerre, l’Oriamendi. Grâce aux tercios  de requetés , les nationalistes contrôlèrent rapidement le nord et le nord-ouest de l’Espagne. Les requetés prirent part à toutes les campagnes de la guerre civile.

[18] Certains anarchistes ont vivement condamné la participation des anarchistes au gouvernement républicain. Ainsi, Gaston Leval (1895 – 1978) n'a pas hésité à qualifier cette participation de collaborationnisme.

 


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